Traites
Etat des provinces du royaume et des droits
dépendants de la ferme des traites qui s’y
perçoivent (construit par ordre alphabétique des provinces
à partir de AN G1 79, dossier 7).
Trois régimes
subdivisaient le royaume : celui dit des « Cinq grosses
Fermes » qui unifiait les provinces centrales de la moitié
Nord sous un même tarif établi en 1664, celui des « provinces réputées étrangères » au
nombre de dix-huit qui n’entraient pas dans le tarif de
1664 et se trouvaient
soumises à un tarif défini en 1667, 1671 et 1688 vis-à-vis de l'étranger,
et celui des « provinces à l’instar de l’étranger
effectif ». A ces grands régimes qui nécessitaient des
formalités d’expédition et de dédouanement déjà complexes
pour passer de l’un à l’autre, s’ajoutaient toutes sortes
de droits locaux que Colbert ne parvint pas à supprimer,
tant dans les pays de l’étendue des Cinq grosses fermes (à La Rochelle, Calais,
Boulogne, Rouen, Marans,
Paris, en Picardie et en Champagne…) que dans les provinces « périphériques ». Se
levaient des droits particuliers dans les ports et havres
de Bretagne, en Charente
et Saintonge, à Bordeaux, à Lyon, à Valence, et le long du
Rhône, dans les Lannes
et la Chalosse, tandis que le Languedoc, la Provence et le Dauphiné vivaient sous le régime de la Foraine…. Les recettes de
ces droits entraient pour partie dans les caisses du roi.
Par la déclaration du premier juin 1771, l’abbé Terray fit ordonner l’aliénation en
faveur du roi de tous les droits de traites et foraines
que certaines villes, communautés et autres particuliers
possédaient. Cette décision contrecarrait les privilèges et fit
l’objet de contestations, notamment en Provence.
Le développement du commerce international et
manufacturier renforça encore le sentiment de confusion
car l’administration adaptait ses règlements douaniers aux
circonstances. En juillet 1720
par exemple, elle supprima le tarif de 1688 sur les marchandises entrant et sortant
du Languedoc vers le Roussillon au moyen d’une augmentation de 40 sols sur le
minot de sel vendu dans
les greniers de cette
dernière province. Globalement, elle s’efforçait surtout
d’encourager les manufactures nationales en réduisant les
taxes à l’entrée sur les matières premières utiles ou à la
sortie sur l’exportation des produits transformés. L’ordonnance sur le fait
des Cinq grosses fermes de février 1687 fit l’objet de multiples révisions de sorte qu’il
n’était pas possible, au milieu du XVIIIe siècle, d’avoir
une vision d’ensemble de la législation. Maintes fois
raturés par les receveurs
des droits au fil des changements de règles, les tarifs
manuscrits devenaient partout défectueux. C'est le
reproche que faisaient les marchands à la Patente du
Languedoc ou à la Douane de Lyon par exemple. La Ferme générale en vint à soupçonner
les marchands de profiter de cette confusion. Dans son
introduction au Recueil sur les droits de traites qu’il
publie en 1786, Vivent Magnien
insiste sur la difficulté d’en avoir une connaissance
exacte à raison des variations infinies survenues dans la
perception. « De là sont résultés des inconvénients
multipliés. Incertains des principes qui devoient les
guider, souvent les commis les plus intelligents ont fait
de fausses perceptions : elles ont donné lieu à des
déclamations outrées de la part des redevables, obligés de
solliciter des ordres de remboursement de s’en procurer le
montant dans des bureaux quelquefois fort éloignés où ils
n’avoient aucune relation. Cette incertitude a encore
exposé le négociant à de fausses spéculations sur l’objet
des droits dus ; il s’en est pris à la Ferme générale :
souvent même, il a poussé l’injustice jusqu’à la
soupçonner de regarder l’obscurité dans la perception
comme un moyen assuré de l’étendre au-delà du vœu du
législateur, tandis qu’elle n’épargne rien pour rendre la
régie douce ».
Outre l’hypertrophie des arrêts du Conseil
se prononçant sur les droits d’entrée et de sortie des
marchandises, les négociants étaient confrontés à la
multiplication des formalités douanières dans les bureaux.
A l’exportation, ils déclaraient leurs marchandises au
bureau le plus proche du chargement où ils acquittaient
les droits, puis au bureau de sortie. A l’importation, les
marchandises étaient conduites, déclarées, visitées et
acquittées au premier bureau d’entrée, et représentées et
visitées au dernier bureau de la route. Pour éviter des
détours onéreux, la Ferme générale organisait une double
ligne de bureaux, distinguant l’enregistrement,
l’expédition et le paiement des droits. Etant donné que
quatre lieues limitrophes séparaient les pays de Cinq grosses fermes des pays extérieurs
à l’Etendue, la disposition des bureaux était elle-même
complexe : le marchand devait prendre son acquit à caution
en entrant, et payer plus loin ; il poursuivait alors sa
route grâce à son acquit de paiement. En Franche-Comté par exemple, les bureaux d’Arcey
et d’Héricourt furent désignés successivement comme
bureaux principaux et premiers bureaux d’entrée ainsi que
derniers bureaux de sortie de Franche-Comté pour l’Alsace, la principauté de Montbéliard
et la Suisse.
Finalement, les Fermiers généraux instituèrent en 1782 le bureau d’Héricourt, enclavé dans la principauté étrangère de
Montbéliard, comme simple bureau de conserve et le bureau d’Arcey
comme bureau de visite et d’acquittement des droits. Cette
décision tardive visait à éviter que les voituriers ne
substituent aux marchandises enregistrées à Héricourt des
marchandises étrangères, à l’occasion de la traversée des
villages dépendant de Montbéliard, pour entrer dans la
province de Franche-Comté. On retrouve cette même logique de prudence
sur toutes les frontières du royaume. L’ordonnance de
1687 portait que les
droits d’entrée devaient être payés au premier et plus
proche bureau de la route, mais dans la pratique, on fit
attention à placer les bureaux de paiement plus avant dans
les terres du royaume et à confier aux bureaux
immédiatement proches de la frontière seulement les
déclarations et expéditions par acquits à caution. Tels étaient en
Flandre et dans le Hainaut les bureaux
d’Halluin et de Blanc-Misseron qui
recevaient les déclarations des marchandises venant de
l’étranger et expédiées par acquit à caution pour Lille ou
Valenciennes ; en Picardie, les bureaux
de Sailly, Fins, Le Catelet,
enregistraient les marchandises venant de l’Artois, de la Flandre française, du Hainaut et du Cambrésis pour être expédiées à Péronne, Saint-Quentin ou
Guise. Une voiture de marchands dotée d’un passavant pris à Rouen et se rendant à
Saint-Quentin, deux villes de l’Etendue, se trouva dans
l’obligation de prendre un acquit à caution à Abbeville car son trajet, pour le
moins oblique, passait par Auxi-le-Château, à moins de
quatre lieues de l’Artois (10 mars 1741).
Tout aussi problématique était le passage des Ardennes
françaises aux Pays-Bas
français en passant par la terre de Luxembourg. Ces
passages en terre étrangère donnaient lieu à des trafics
de marchandises frappées de fausses marques du royaume,
comme ces cuirs de Givet
saisis en 1731 à Bavay sans
être passés par Maubeuge, bureau de première entrée.
Les entraves que les traites formaient à l’encontre du
commerce engagèrent les ministres à négocier avec la Ferme
générale. Trudaine proposa une réforme dès 1760, reprise ensuite par tous
les administrateurs éclairés. Jean-Louis Moreau de
Beaumont l'évoqua dans son mémoire sur les finances de
1769. Il présenta le
« projet de formation d’un nouveau tarif » à la fin de son
mémoire, avec pour objectif de « détruire toutes ces
barrières qui forment autant d’obstructions au commerce et
de rendre entièrement libre la communication de tout
l’intérieur du royaume ». De même, Henri Lefèvre
d’Ormesson et Charles Gravier de Vergennes s’employèrent
auprès d’Augeard en juillet 1783 pour soustraire les traites de son bail et
faciliter l’établissement des ports francs. L’arrêt du Conseil du 24 octobre
1783 portant Conversion
du bail des Fermes générales en une régie intéressée à
commencer du 1er janvier 1784
ne vit toutefois pas le jour. L'encyclopédie méthodique de
Panckoucke défendit également la réforme des traites en en
présentant les grands axes au moment où l'Assemblée des
notables se réunissait (1787). Le travail de Trudaine, développé par les conseillers
d'Etat et les Fermiers généraux les plus avisés pendant
près de vingt ans (1767 -
1787), supprimait toutes
les barrières douanières intérieures, tous les droits
locaux, tous les bureaux, établissait un tarif général
uniforme à toutes les frontières du royaume en distinguant
six taux d’imposition à l'entrée et quatre taux à la
sortie, en fonction de l’intérêt des marchandises pour le
développement des manufactures nationales.
L’administration se trouvait néanmoins confrontée à la
défense des privilèges
et usages anciens concernant les droits de douanes locaux,
notamment dans les provinces réputées étrangères, mais aussi
à la défense des privilèges obtenus au fil du temps sur certaines denrées. Par
exemple la Bretagne, l'Alsace, la Lorraine, la Franche-Comté et les Trois -Evêchés bénéficiaient de
l'exemption de droits sur les sucres, cafés
et autres marchandises des îles. Au demeurant, les
"provinces à l'instar de l'étranger effectif " furent les
plus rétives à la réforme. La rationalisation effective
des douanes supposait en outre de démêler au préalable
l’écheveau institutionnel qui liaient les caisses locales
et les caisses du roi pour certains droits. Les calculs
sur les bénéfices à tirer de la réforme n'étaient pas des
plus simples. La Ferme générale avait d'ailleurs tendance
à exagérer les produits des droits de circulation.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AD Doubs, 1C 1313, Lettre de Trudaine à Lacoré, 7 octobre 1763 1C 1319, Mémoire des Fermiers généraux concernant les bureaux d’Arcey et Héricourt, signé Laborde, 18 mars 1782.
- AN, G1 79, dossier 3, Traites, première subdivision. Droits de traite proprement dits. Ce document à usage interne comporte un historique du système des douanes et une carte coloriée analogue à celle qui figure dans le Compte rendu au Roi de Necker, op. cit. Il n’est pas daté.
- BNF, Département Cartes et plans, GE D-26605 : Directions des traites du Nord, s.l.n.d., XVIIIe siècle.
-
Sources imprimées:
- Ordonnance de Louis XIV, Roy de France et de Navarre, sur le fait des cinq grosses fermes, Donnée à Versailles au mois de février 1687, à Paris, chez François Muguet, 1687, 51 p.
- Arrêt du Conseil d’Etat qui ordonne que les sucres raffinés à Bordeaux et à La Rochelle, qui seront déclarés pour la Franche-Comté, Alsace, Genève, Savoie, Piémont, Italie et Espagne, sortiront par le bureau d'Auxonne quand ils seront destinés pour la Franche-Comté et l'Alsace par les bureaux de Louans, Colonges ou Seissel pour Genève par les bureaux de Pont-Beauvoisin ou de Chaparillan pour la Savoie et le Piémont et par le bureau d'Agde pour les sucres qui vont en Italie et en Espagne par la voie de la Méditerranée, 27 octobre 1711.
- Arrêt de la Cour des aides qui confirme une sentence du juge des traites d’Abbeville qui ordonne la confiscation des marchandises de mercerie appartenant au nommé Le Sage, destinés pour Saint-Quentin, suivant un passavant pris au bureau de Rouen, 10 mars 1741.
- Arrêt du Conseil d'Etat qui assujettit les marchandises de la ville et vicomté d'Auvillars, pays de la haute Guyenne au payement des droits de composition, tenant lieu de ceux des traites foraines et domaniales, lorsqu'elles seront destinées pour la Basse-Guyenne, 30 décembre 1749.
- Dufresne de Francheville, Histoire générale et particulière des finances. Histoire des droits de sortie et d’entrée du tarif de 1664, Paris, 1738.
- Jean-Louis Moreau de Beaumont, Mémoires concernant les droits impositions en Europe, tome 3, Paris, Imprimerie royale, 1769, p. 585-586.
- Dupont de Nemours, Mémoire sur les droits de traite, 1780.
- Vivent Magnien, Recueil alphabétique des droits de traite uniformes, etc., 4 tomes, Paris, 1786.
- Encyclopédie méthodique. Finances, t.3, chez Panckouke, 1787, p. 709-727.
- David, Idée d’un ancien préposé de la Ferme générale sur la prochaine organisation du régime fiscal de France, Avignon, 1790.
-
Bibliographie scientifique:
- Jean Clinquart, Les Services extérieurs de la Ferme générale à la fin de l’Ancien régime : l’exemple de la direction des fermes du Hainaut, Paris, CHEFF, 1996.
- Sophie Evan-Delbrel, Une histoire de la justice douanière, l’exemple de Bordeaux sous l’Ancien régime, Limoges, PULIM, 2012.
- Élizabeth Rogani, « Les traites entre la Bretagne et le royaume de France de 1664 à 1791 », mémoire de DEA d’histoire, université de Rennes 2, 1996 .
- Julien Villain, « Privilèges douaniers et structure régionale des échanges. Les marchands lorrains et le commerce rhénan dans les années 1750 et 1760 », dans G. Garner (dir.), Die Ökonomie des Privilegs, Westeuropa 16.-19. Jahrhundert, Francfort-sur-le-Main, Klostermann, 2016.
Traites » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
DOI :