Salins
Il y avait deux
usines. La première était « la grande saline » appelée
aussi « grande saunerie », située dans la partie haute de
la ville ; elle est aujourd’hui inscrite au Patrimoine
mondial par l’UNESCO. Elle comprenait deux grands puits
d’eau salée : le puits d’Amont et le puits à grès. Depuis
le XIIIe siècle, elle appartenait à la puissante famille
de Chalon. Par héritage et confiscation, elle passa
ensuite à celle des Habsbourg, devenus comtes de Bourgogne et donc souverains de la Franche-Comté, jusqu’en 1674 -
1678 lorsque Louis XIV
s’en empara définitivement. A l’époque des Habsbourg, la
grande saline de Salins était une manufacture d’Etat. La
seconde entreprise, appelée « petite saline » ou « puits à
muire », n’appartenait pas à l’Etat mais collectivement à
un groupe de rentiers, principalement des
ecclésiastiques (abbayes, couvents, chanoines) mais aussi
quelques nobles et bourgeois fortunés ; techniquement elle
était aussi une dépendance de la grande saunerie. Les
rentiers se partageaient 419 rentes extrêmement
profitables appelées quartiers. Des rentes en sel ou en
argent enrichissaient de nombreuses familles. Le système
changea à la demande des nouveaux souverains des Pays-Bas
auxquels était rattachée la Franche-Comté,
les archiducs Albert et Isabelle. La situation était en
effet devenue inquiétante, notamment à la saline du puits
à muire. La gestion y était qualifiée de « ménagerie,
entièrement dispendieuse » où régnait « un très grand
désordre, négligence et confusion de toutes choses ». On
déplorait un nombre excessif d’officiers et de
manœuvres fort suspects ». Les deux salines furent
regroupées et mises en amodiation, c’est-à-dire confiées à
des fermiers, ce qui déchargeait l’administration comtale
de sa gestion directe. Dès lors, les fermiers édifièrent
« des fortunes considérables ». L’amodiateur n’avait pas
le droit de « destituer » des manouvrières et des
manouvriers pendant la durée de son bail. La mise en
amodiation à partir du début du XVIIe siècle provoqua
vraisemblablement une recherche maximum du
profit.
L’annexion de la Franche-Comté par le royaume de France apporta d’autres
changements. Les salines de Salins, comme celles des
Trois-Evêchés et de Lorraine, entrèrent dans le domaine royal. Le roi de France désigna les
officiers supérieurs chargés du contentieux des gabelles,
notamment le juge visiteur
des sauneries dont la juridiction se trouvait à la grande
saline de Salins et qui avait compétence tant au civil
qu’au criminel sur l’ensemble des faits de gabelle, mais
aussi le trésorier des sauneries. L’exploitation des
salines, quant à elle, connut plusieurs régimes
financiers, soit par des fermes particulières, soit par
des sous-fermes de la
Ferme générale, soit par régie intéressée.
En 1674, Nicolas Saunier
fut désigné adjudicataire des fermes des gabelles pour
les Trois-Evêchés
(Metz, Toul, Verdun) et les salines et domaine de
Lorraine et du comté de Bourgogne pour un prix de 25 950 000
livres. Il obtint en contrepartie le monopole de la vente
de sel : l’article 104 du bail faisait « défense à toute
personne autre que le fermier de dresser ou tenir, dehors
ou en dedans de la
Ville de Salins, aucun magasin de sel
et de le vendre ». Les baux étaient signés de six ans en
six ans. Claude Boutet et Nicolas Faucielle (1680-1686), Jacques de Henry (1686-1692) succédèrent à
Saunier. Après la période
troublée de la fin du XVIIe siècle, les salines
furent intégrées aux baux de la Ferme générale avec,
comme dans le cas du bail Pierre Carlier (1726-1732), des clauses spécifiques pour les
sels et gabelles de Franche-Comté
(articles 66 à 95 du bail). A partir de
1744, les Fermiers
généraux passèrent des traités pour la mise en régie
intéressée. Sous différents prête-noms (Pierre Lagarde,
puis Jean-Louis Soyer, puis Jean Roux Monclar…), les
entrepreneurs de sels de Franche-Comté (Salins, Château-Salins, Montmorot) et de
Lorraine (Dieuze,
Moyenvic) formèrent des compagnies d’exploitation
regroupant toujours les mêmes financiers : Philibert
François Parseval de Fontaine, Alexandre Parseval
Deschesnes, puis son fils Marc Antoine, Pierre Martin de
Wismes puis son fils, Alphonse Denis, le receveur général
des finances Claude Debrets, André Potor, Pierre Perrinet
des Faugnes, Jean-Baptiste Fenouillet, puis Charles
Georges Fenouillet de Quingey… les Fenouillet étant les
seuls financiers d’origine comtoise. Ces entrepreneurs
participèrent à la mise en service de Montmorot (traité de
1743) et plus tard d’Arc-et-Senans (1774). Certains d’entre
eux avaient une très bonne connaissance du métier, à
l’instar d’Alexandre Parseval Deschesnes qui fut non
seulement exploitant, mais également inspecteur général
des salines de 1782 à 1790 et inventeur d’une machine
à graduer le sel. Ils demeuraient confrontés néanmoins à
la faible productivité de Salins. L’impossibilité de
former des sels en proportion des quantités d’eaux salées
ou le mauvais état des chemins furent régulièrement
dénoncés sans que les gestionnaires ne parviennent à
redresser la situation. La production se situait entre 10
et 11 000 tonnes de sel vers 1657. Elle tomba à 8 796 tonnes à la fin du siècle (en
1697) puis à 5 800
tonnes au milieu du XVIIIe siècle (1757) avant de disparaître complètement.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AN, F14 4267, « Détails historiques sur les salines de Lorraine des trois Evêchés et de Franche-Comté dont le principal objet est d’exposer les variations que ces mines ont successivement éprouvées dans leur administration », après 1782.
- AN, G1 93A, Louis Grégoire Mirleau de Neuville, « Procès-verbal sur les salines de Lorraine et de Franche-Comté », vers 1755.
- AN, G1 93B, Atlas des salines de Lorraine et de Franche-Comté, planche 9 « Grande saline de Salins », planche 10 « Petite saline de Salins », planches 11 à 14 : puits et circuits des eaux.
- AN, G1 95 (dossiers 13 et 15).
- AN, G7 280, 281.
-
Sources imprimées:
- Arrêt du Conseil d’Etat qui annulle tous traités faits à des particuliers, pour fourniture de Salin et potasse, par Jean Roux Montclar, chargé précédemment de l'exploitation des salines de Lorraine et Franche-Comté, sans qu'il puisse être exigé aucune indemnité de l'adjudicataire des fermes générales, 19 juillet 1782.
-
Bibliographie scientifique:
- Roger Humbert, Institutions et gens de finances en Franche-Comté, 1674-1790, Besançon, Annales littéraires de l’Université de Franche-Comté, n° 605, Diffusion Les Belles-Lettres, 1996.
- André Ferrer, Tabac, sel, indiennes. Douanes et contrebande en Franche-Comté au XVIIIe siècle, Besançon, Annales littéraires de l’Université de Franche-Comté, n° 734, Diffusion Les Belles-Lettres, 2002.
- Ivan Grassias, Philippe Markarian, Pierre Petrequin, Olivier Weller, De pierre et de sel. Les salines de Salins-les-Bains, Besançon, Musées des techniques et cultures comtoises, 2006.
- Philippe Mairot, Salins-les-Bains, Arc-et-Senans, fortunes du sel comtois, Lyon, Le Progrès, 2010.
- Emmeline Scachetti, « La saline d’Arc-et-Senans, Manufacture, utopie et patrimoine (1773-2011) », thèse d’histoire contemporaine sous la direction de Jean-Claude Daumas, Université de Franche-Comté, 23 novembre 2013.
- Paul Delsalle, La fortune de Salins, éd. Franche-Bourgogne, 2020.
Salins » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
DOI :