Maître des ports
La qualification de maître des ports préexiste
à toute autre. La charge est créée par des lettres de
commission adressées le 6 février 1304
à Geoffroi Coquatrix pour assurer le prélèvement
des « droits de haut passage » de sept deniers pour livre
sur les marchandises prohibées à l’exportation. À ces taxes prohibitives ont été
ajoutés les droits de rêve de quatre deniers pour livre
sur les marchandises dont l’exportation était autorisée.
Le roi Jean créa en 1360 un
troisième droit de sortie, qualifié d’imposition foraine, de douze deniers
pour livre. Refusant de payer ces nouveaux droits,
certaines provinces sont « réputées étrangères » et le roi
ordonne l’érection d’un premier cordon de « bureaux de
maîtrise des ports » aux frontières de la Bretagne, de l’Anjou, du Maine, du basPoitou, de La Rochelle, de la Saintonge, la Guyenne, le
Languedoc, la Provence, le Dauphiné, le Piémont, la Savoie, la Bresse et le Véronnais. De nouveaux bureaux
sont établis « aux extrémités du royaume » par l’édit du
20 avril 1542 pour assurer
le recouvrement des droits, surveiller le transport des
marchandises, recevoir les acquits et tenir les
« registres pour servir de contrôle ». Les maîtrises des
ports ne sont donc pas nécessairement établies dans les
villes portuaires. L’article 24 de l’édit de 1542 informe que ces bureaux
sont installés dans les « lieux esquels on transporte
lesdites marchandises par terre, sur les chemins ; és
lieux esquels on transporte par eau tant douce que
salée ». Les juristes de l’ancien droit, tel
Pierre-Jacques Brillon, trouvent une justification
étymologique à l’appellation des maîtres des ports qu’ils
rapportent au terme de douane. En effet, les marchandises
« transportées » sont dites doanam en bas breton, du verbe
doen qui signifie « porter » ou « emporter ». L’édit de
septembre 1549 établit de
nouveaux bureaux à Rouen,
Amiens, Troyes, Dijon, Mâcon
et Lyon.
La locution maître
des ports couvre dès son origine l’ensemble du royaume
alors que celle de juge des traites apparaît d’abord comme une
spécificité angevine. Une ordonnance d’avril 1518 confie aux élus les
contentieux de la Traite d’Anjou et du Trépas de Loire. Ce texte est interprété
par une ordonnance de novembre 1524
qui évoque désormais les « juges desdictes
traittes ». Le terme apparaît ensuite dans un édit
spécifique au trépas de Loire daté de févier 1554 et dans un autre de
janvier 1555 qui cherchait à
corriger les abus des bureaux installés en Mayenne sur la
route de la Bretagne. Un règlement sur la Traite d’Anjou de décembre 1580
évoque quant à lui les « Iuges des traites, imposition
foraine trespas de Loire ». La jurisprudence confirme
l’identité angevine des « juges des traites » par un arrêt
de la cour des aides de Paris de septembre 1559 sur la traite d’Anjou.
C’est vraisemblablement à travers la
concentration progressive des baux au XVIIe siècle
qu’opère la confusion entre juge des traites et maître des
ports. Le bail Simon Prévost pour la Traites d’Anjou et trépas de Loire, conclu en 1627, reprend la qualification des
« Juges des traites d’Angers ». Si le bail Toussainct de
la Ruelle de 1643 évoque en son
article 13 les « Maistres des Ports autres Iuges de
Police » dans le cadre des Cinq grosses fermes, ses articles 42 et
52 privilégient la dénomination de « juge des traites »
pour la prévôté de Nantes,
les traites d’Anjou et du Poitou. Le titre général du bail Martinant de 1664 intéresse indifféremment
les « Iuges des Traites d’Anjou et
Maistres des ports » alors que le dernier article, à
l’adresse de toutes les juridictions compétentes en
matières du droit des fermes, allègue les « Maistres des
ports Iuges
desdites Fermes ». Les baux ultérieurs
oublient la spécificité angevine des juges des traites. De même le
législateur, dans les édits de mars
1667 et de février 1687
sur les Cinq grosses fermes, évoque indistinctement les « maîtres des ports
juges des traites » alors que celui de mai 1691 porte plus largement sur
les « maîtres des Ports, Juges des Traites ou de la
Douane ». Les maîtres des ports et les juges des traites,
de manière générale, exercent la même juridiction
douanière. Cependant, les maîtres des ports des pays d’états, contrairement à
leurs homologues des pays d’élection, exercent la juridiction du tabac ainsi qu’une large
compétence de police dont celle de voierie. En outre, les
maîtres des ports méridionaux percevaient directement des
fermiers une part importante de leurs émoluments. Cette
pratique est une survivance de l’ancien système douanier
qui n’est pas caractéristique aux maîtres des ports. Le
bail de la Ruelle stipulait par exemple que les gages des
« juges des traites » du Poitou devaient
être payés par le fermier. Un arrêt du Conseil du 8
juillet 1650 avait interdit aux
maîtres des ports d’exiger aucun droit pour l’expédition
des passeports, des
acquits à paiement et
autres. Cette interdiction est répétée par l’édit de 1687 qui fait défense à tout
juge des douanes « de prendre aucuns Droits des Marchands
ou Voituriers, sous quelque prétexte que ce soit à peine
de concussion. » La suppression de ces émoluments achève
de faire tomber les offices de maîtres des ports. L’édit
de mai 1691 supprime tous les
offices vacants qu’il remplace pour des juges des traites.
Il ne subsiste alors plus de maîtres de ports qu’en
Languedoc, en Provence et un à Rouen.
Les juges méridionaux, continuant de percevoir les droits
sur les expéditions, ont été sommés par l’arrêt du Conseil
du 2 août 1701 de présenter aux
intendants les titres sur lesquels ils fondaient leurs
prélèvements. Cependant, suivant l’avis de l’intendant du
Languedoc, deux arrêts du Conseil, datés du 25 novembre
1702, maintiennent la
faculté des maîtres des ports du Languedoc et de Provence de percevoir les droits d’expédition. Bien
qu’ils aient été confirmés par un arrêt du Conseil le 22
mars 1746, ces droits étaient
mal vécus par les préposés des fermes puisqu’ils
permettaient aux maîtres de ports, selon Rousselot de
Surgy, « de prendre place dans leurs bureaux, pour remplir
leurs fonctions recevoir leurs attributions ». Aussi les
maîtres des ports ont-ils pris l’habitude de viser les
expéditions en blanc et de les laisser aux receveurs des fermes à
qui ils abonnaient la perception des droits d’expédition.
Les délibérations du 12 mars 1761
et du 31 mars 1775 de la Ferme générale démontrent que les fermiers généraux
contrôlaient de près le paiement de ces émoluments
qualifiés « d’honoraires ». En définitive, plutôt que de
découvrir une juridiction originale, le chercheur qui
s’intéresse aux maitrises des ports butte sur un quiproquo
caractéristique du vocabulaire de l’ancien droit. S’il
existe une particularité, elle est essentiellement
méridionale. Les maîtres des ports et les juges des traites des pays d’élection, avant 1691, ont des compétences
rigoureusement similaires alors que les maîtres des ports
de Languedoc et de Provence semblent palier l’absence des élus dans les
pays d’états.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AM Arles FF 57 (46) : Arrêt de la Cour des aides de Provence du 1er juin 1682 portant règlement pour les émoluments des officiers des maîtrises des ports.
- AN 129AP/1 : Bail général des cinq grosses fermes de France faict à Me Toussainct de la Ruelle le premier janvier 1643.
- AN, G1 15 : délibération du 12 mars 1761.
- AN, G1 19 : délibération du 31 mars 1775.
- AN, G7 1147 : arrêt du 2 août 1701.
- AN H1 1012 : Maître des ports de Toulouse : procès contre les Trésoriers de France et le syndic général des États au sujet de la voirie, 1648-1735.
-
Sources imprimées:
- Jacques Corin, Nouveau recueil des edicts, ordonnances et arrests de l’auctorité, iuridiction cognoissance des Cours des Aydes Esleus, Greniers de France, Iuges des Tracites, Maistres des Ports autres, Paris, Chez la Vefue Claude de Monstr’œil, 1623, p. 793-856.
- Lettres du 6 février 1304 dans Eusèbe de Laurière, dans Ordonnances des Roys de France de la troisième race, Paris, Imprimerie royale, 1723, t. 1, p. 424-425.
- Edit du 20 avril 1542 dans Pierre Génois, La grande conférence des ordonnances et édits royaux, Paris, Chez Denys Thierry, 1678, t. 2, p. 965-971.
- Edit de mai 1691 dans Hubert Bellet-Verrier, Mémorial alphabétique des choses concernant la justice, la police et les finances de France pour les gabelles cinq grosses Fermes, Paris, Chez la Veuve Jean Cochart, 1714, p. 318-324.
- Nicolas de Lamoignon de Basville, Mémoires pour servir à l’histoire de Languedoc, Amsterdam, Chez Pierre Boyer, 1734, p. 146-148.
- Joseph du Fresne de Francheville, Histoire du tarif de mil six cens soixante-quatre, Paris, Chez de Bure, 1746, t. 1.
- Lerasle, Encyclopédie méthodique. Jurisprudence, Paris, Chez Panckoucke, 1785, t. 5, v° « Juges des traites ou maîtres des ports », p. 327-328.
- Jacques-Philibert Rousselot de Surgy, Encyclopédie méthodique. Finances, Paris, Chez Panckoucke, 1787, t. 3, v° « Maîtres des ports », p. 12-15.
- Jean-Louis Moreau de Beaumont, Mémoires concernant les impositions et droits, Paris, Chez J. Ch. Desaint, 1787, t. 3, p. 347-413.
-
Bibliographie scientifique:
- Rodolphe Dareste, La justice administrative en France, Paris, Auguste Durand, 1862, p. 47-48.
- Nathalie Bruzat, L’Activité de la maîtrise des ports de Toulouse, 1753-1789, Toulouse, mémoire de maîtrise, UTM, 1993.
- Jack Thomas, « Toulouse, capitale judiciaire à l'époque moderne : un essai de bilan historiographique et cartographique », Histoire de la justice, vol. 21, n°1, 2011, p. 60-61.
- Bernard Barbiche, Les institutions de la monarchie française à l’époque moderne, Paris, PUF, « Quadrige », 2012, p. 378-382.
- Sophie Evan-Delbrel, Une histoire de la justice douanière. L’exemple de Bordeaux sous l’Ancien Régime, Limoges, PULIM, 2012, p. 12 et 36-59.
Maître des ports » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
DOI :