Marie-Laure Legay
AN, G1 83, dossier 5, « Mémoire sur la régie intérieure du port de Marseille pour les traites, les gabelles et le tabac », 5 juillet 1785 : Croquis de la disposition du chemin de Marseille au poste de la Croix-Rouge
Marseille,
ville de Provence, se trouvait incluse dans les baux confiés aux
Fermiers des gabelles de Lyonnais, Dauphiné et Provence, pays de petites gabelles. Cette ferme fut réunie à la Ferme
générale en 1682. Située à
proximité des lieux de production de sel, notamment des
salins de Berre et d’Hyères,
la ville ne souffrait pas de problème d’approvisionnement.
Vis-à-vis des aides, la
ville bénéficiait du privilège de consommation des vins et raisins de son terroir : les 4 à 5000 bastides viticoles,
représentant plus de 3 000 hectares, vivaient de ce
monopole et couvraient la consommation de la ville. La
population (85 000 habitants à la fin du XVIIe siècle,
115 000 à la veille de la Révolution) augmentait toutefois
et le port franc exigeait également des barriques de vin pour son fret aller. Les
autorités royales ouvrirent donc le commerce aux vins provençaux en transit pour les
destinations lointaines. La Ferme générale n’intervint pas
dans le contrôle de ces trafics : elle laissa la police
municipale du vin, établie en
1672, administrer le
privilège. Agnès Barruol d’une part, et Gilbert Buti
d’autre part, ont livré une étude particulière de cette
fraude appréciée comme un phénomène contestataire lié à la
cherté et/ou à la médiocrité des vins. En 1776, Turgot mit
fin à ce privilège
ancestral.
Port franc depuis l’édit de mars 1669, Marseille jouissait de
nombreux avantages sur ces concurrents. Toutes les
marchandises étaient affranchies des droits d’entrée, de
séjour et de sortie, ce qui rendait le port « étranger »
au reste du royaume. Le bornage et la délimitation
juridique du terroir marseillais (arrêt de 1728) permirent de définir
précisément la zone considérée comme « franche ». Celle-ci
fut physiquement matérialisée par des barrières douanières
établies sur son pourtour : les bureaux de la Ferme se
trouvaient à La Gavotte, Septèmes, La Bourdonnière, Allauch, Aubagne, La Penne et
Cassis, d’après la carte de Jean-Antoine Bresson de 1773. Une réorganisation des
bureaux d’Allauch
et la Bourdonnière fut pensée à la fin de
l’Ancien régime :
Le port franc de Marseille
régulait le commerce des marchandises du Levant en France. C’était
particulièrement vrai pour certaines productions comme les
toiles blanches ou peintes étrangères : elles étaient prohibées dans tout le
royaume, à l’exception de celles qui venaient en droiture
du Levant et entraient par
Marseille (1703). Cette
disposition prit fin en 1759
néanmoins. C’était la Chambre de commerce de la cité
phocéenne qui réglait chaque année les tarifs et
évaluations des marchandises du Levant. Elle levait pour
son compte le droit de Consulat d’une part (ordinairement
de 3% sur les marchandises arrivées du Levant et de Barbarie),
mais aussi le droit dit « de vingt pour cent » qui,
partout ailleurs dans le royaume, était levé au profit de
la Ferme générale depuis 1706.
Ce dernier droit n’était pas dû sur les marchandises
arrivant en droiture du Levant à Marseille sur des
vaisseaux français, mais il était levé sur les autres
cargaisons. Pour éviter que les marchands qui
entreposaient les cargaisons du Levant à Livourne ou Gênes, mais aussi en
Angleterre ou en
Hollande ne puissent
profiter opportunément des variations de prix des
marchandises en débarquant leurs navires dans les ports
français à leur guise, la tarification faite par la
Chambre de commerce de Marseille valait pour les autres
places françaises.
Les négociants de la ville s’engagèrent
également dans le commerce avec les colonies américaines
et dès 1719, le port bénéficia
des dispositions adoptées par les lettres patentes d’avril
1717. Toutes les denrées
et marchandises conduites à Marseille pour être
transportées dans les colonies américaines bénéficièrent
de l’exemption des droits d’entrée et de sortie, tant des
provinces des Cinq grosses fermes que des provinces réputées étrangères, mais aussi
des droits qui se levaient pour le passage d’une province
à l’autre (sauf celles issues de l’étranger qui réglaient
les droits au bureau de
Septèmes, comme par exemple les toiles
de coton suisses). Destinées
aux îles, les marchandises devaient être déclarées au bureau de La Ferme générale établi dans la ville au titre
du Domaine d’Occident, y
prendre les acquits à caution et renfermées dans des entrepôts. Les commis
procédaient aux visites et pesées et surveillaient leur
embarquement comme à Dunkerque. Chambon, receveur
des Fermes, fit état dans son ouvrage, Le commerce de
l’Amérique par Marseille (1764), des difficultés d’interprétation de la loi, denrée par
denrée. Les savons de Marseille par exemple, devaient-ils,
lorsqu’ils passaient par Bordeaux, régler les droits demandés comme les autres
savons provençaux embarqués pour les Iles ? Pour la
cargaison retour, la taxe de 3% due à la Ferme générale
devait être réglée, selon la valeur des marchandises. Cet
impôt nécessitait là encore des déclarations en bonne et
due forme que la Ferme générale eut de grandes difficultés
à obtenir. En 1741, il fut
constaté que les marchandises des îles étaient juste
pesées par un peseur seul sur les quais du port, sans être
portées au bureau du Domaine d’Occident et sans présence d’un commis. La
Ferme générale, pour faciliter les déclarations, loua donc
une maison sur le quai de la Rive neuve pour y transférer
le bureau, juste en face des quais où débarquaient les
navires venant des Amériques. En outre, les négociants de
Marseille oubliaient le plus souvent d’indiquer le poids
et le détail des marchandises et demandaient des délais
insupportables à tenir. Le roi fit un rappel à la loi en
1775. Dix ans plus tard,
l’inspection des services constatait la même
insuffisance : établi pour un trafic initial de 15 à 20
bâtiments par an, le bureau du Domaine d’Occident devait faire
face à un trafic de plus de cent vaisseaux dans les années
1780. A cette époque,
une recette de 1 083 957 livres fut enregistrée sur les
seules denrées issues des îles d’Amérique (1775). Le bureau des Poids et
Casse prenait une partie des expéditions en charge, ce qui
introduisait de la confusion. En outre, les opérations de
déchargement devenaient trop longues. La Chambre de
commerce de Marseille se plaignait des délais, de plus de
six semaines parfois. « Le désordre est d’autant plus
grand que le local ne permet pas de laisser les romaines
dans l’intérieur des magasins et qu’on les répartit sur le
quay hors de la portée des officiers ».
Par ailleurs, des
droits d’entrée étaient imposés, de façon variable et plus
ou moins modérée selon les denrées, également au bénéfice
de la Ferme générale au titre des Cinq grosses fermes. Les magasins
servant à l’entrepôt des denrées étaient choisis par le
négociant. Trois clefs les fermaient : l’une était remise
au fermier du Domaine d’Occident, une autre au fermier des Cinq grosses fermes et la troisième
restait dans les mains du marchand.
Port international à
l’activité croissante, Marseille fut le lieu d’un intense
trafic frauduleux, concernant non seulement les produits
locaux (vins, fruits,
viandes…), mais aussi les trafics internationaux (indiennes,
horlogerie…). Pour la seule année 1773, l’intendant
Gallois de La Tour compta 800 procès-verbaux de
saisie dans le
département
de Marseille. Ce trafic faisait vivre
des villages entiers comme celui de Bouc, par lequel
transitaient les marchandises de Marseille à Aix.
Sources et références bibliographiques:
Marie-Laure Legay, « Marseille » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 20/05/2024
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