Colonies
Produits des droits du Domaine d'Occident en livres-tournois, bail Domergue
La Ferme générale comme agent d’administration coloniale :
La Ferme générale dut tenir compte des privilèges fiscaux accordés aux compagnies de commerce qui approvisionnaient les colonies. L’article 43 de l’édit d’août 1664 concernant la compagnie des Indes orientales exemptait par exemple les marchandises en circulation dans le royaume et destinées aux constructions, radoubs, armements et avitaillements de ses vaisseaux. Cet article devint général et fut adopté pour toutes les compagnies, pour celle du Sénégal et celle de Guinée notamment. De même, par l’arrêt du 4 juin 1671, les marchandises chargées en France pour être portées dans les îles d’Amérique furent exemptées des droits de sortie. Les marchands devaient dès lors rapporter les certificats de décharge délivrés aux Antilles et les présenter aux bureaux de la Ferme générale au retour. Le sel pris dans les greniers pour les salaisons des viandes destinées au commerce colonial était également réglé au prix marchand et ne pouvait être taxé. En 1672, Colbert élargit ce système de certificat à la traite des noirs. Sur la base des factures issues de la traite, la Ferme générale accordait une réduction de la moitié des droits d’entrée sur les denrées de fret retour.
Concernant le fret retour, la Ferme générale dut enregistrer également les dispositions législatives relatives à l’économie d’entrepôts. Les marchandises en transit dans le royaume bénéficièrent d’exemptions sur les droits d’entrée et de sortie dès lors qu’elles étaient destinées à l’étranger, comme celles venant des colonies américaines (article XVII de l’édit du 28 mai 1664). L’obligation de retour dans le port d’affrètement facilitait les opérations de détaxation. Pour le commerce des Indes, le retour se faisait obligatoirement à Lorient, même après 1769. Si le navire subissait des avaries et entrait dans un port, sa cargaison était mise en magasin sous le contrôle des employés de la Ferme générale et acheminée à Lorient par acquit à caution. Pour le commerce de l’Amérique, cette obligation fut de moins en moins respectée. A Bordeaux, les armateurs la contournaient régulièrement. Certes, l’ordre du roi du 9 septembre 1763 permettait le retour des navires affrétés pour l’Amérique indistinctement dans tous les ports du royaume, mais il fallait choisir un port ouvert au commerce des îles.
La Ferme générale comme agent fiscal métropolitain :
Si le fret retour était soumis aux droits d’entrée dans le royaume, alors la compagnie financière enregistrait des recettes. La compagnie des Indes orientales déchargeait à Lorient, fondée en 1666. L’arrêt du 12 juillet 1672 précisa les rapports de la compagnie avec la Ferme générale (bail François Legendre) : les marchandises étaient débarquées et entreposées dans les magasins de la compagnie « en présence des commis gardes dudit Legendre ». Des états doubles de la quantité et qualité des marchandises étaient dressés et les droits d’entrée réglaient au fur et à mesure des ventes. En réalité, les denrées et les marchandises quittaient la Bretagne, réputée étrangère, pour remonter la Loire ou changer de ports, et réglaient alors les taxes d’entrée au bureau d’Ingrandes ou aux bureaux de la Ferme générale établis dans les ports. Si elles arrivaient à Nantes, les cargaisons réglaient les droits de la traite domaniale de Nantes pour entrer dans le royaume ; si elles étaient destinées à Lyon, elles n’étaient taxées qu’au quart du tarif des Cinq grosses fermes, mais devaient régler les droits de la Douane de Lyon. A La Rochelle, elles étaient déchargées du droit de 1% que la ville était autorisée à lever pour son compte…. Admise à fournir des toiles de coton blanches, la compagnie des Indes orientales payait ainsi les taxes d’entrée selon le tarif de 1664, soit 18 sous la pièce de 10 aulnes, mais 18 deniers la livre poids à Nantes. Certaines marchandises se trouvaient omises du tarif de 1664 et dans ce cas, réglaient 3 % de leur valeur.
La législation sur le commerce atlantique évolua au XVIIIe siècle. La montée en puissance de la production coloniale américaine (indigo, sucres et cafés) engagea le gouvernement à délaisser le système du monopole commercial. Les Lettres patentes d’avril 1717 assujettissaient les marchands aux intérêts « exclusifs » de la Métropole, c’est-à-dire de ses producteurs, négociants ou armateurs. L’Exclusif fixa un tarif pour les denrées coloniales. Ce tarif évolua par la suite sur le pied d’une évaluation faite de gré à gré. « Elle est ordinairement réglée avec les négociants de La Rochelle et renouvelée de six mois en six mois par rapport à la variation du prix de ces marchandises », lit-on dans un mémoire de 1755 conservé aux archives nationales. Ce tarif était publié dans tous les autres ports par où le commerce des îles était permis, Les droits étaient reçus sur le poids de marc net à Marseille, suivant les lettres patentes de mois de février 1719. Voici le tarif fixé pour les six premiers mois de 1764: Sucre brun, le cent pesant (cent livres) : 23 liv. 10 sols ; Sucre brun de Cayenne : 19 liv. ; Sucre blanc raffiné 56 liv. ; Sucre terré : 35 liv. ; Sucre testé de forme : 27 liv. ; Sucre terré de Cayenne : 30 liv. ; Indigo, la livre : 4 liv. , 3 sols ; Rocou, le cent pesant : 72 liv. ; Cacao, le cent pesant : 70 liv. ; Café, la livre : 10 sols ; Coton, le cent pesant : 130 liv. ; Cuirs de bœufs tannés : 40 liv. ; Cuirs de veaux tannés : 25 liv. ; Cuirs en poil, la pièce : 6 liv. ; Carret, la livre : 7 liv. ; Caouanne, la livre : 3 liv. et 10 sols ; Cannefice, le cent pesant : 42 liv. ; Gingembre, le cent pesant : 24 liv. ; Confitures : 55 liv. ; Sirops des Isles : 15 liv. ; Graines de chapelet, le cent pesant : 12 liv. ; Graines de Paradis, le cent pesant : 18 liv. ; Bois Jaune : 8 liv. ; Bois d’Inde : 16 liv. ; Bois de Gayac : 8 liv. ; Tabac en feuille, la livre : 1 1iv. , cinq sols ; Tabac fabriqué, la livre : 15 sols.
Les dernières décennies de l’Ancien régime donnèrent l’occasion au gouvernement d’unifier sa politique fiscale sur le commerce colonial. Celle-ci s’organisa moins en fonction des secteurs géographiques (Amérique, Afrique, Levant, Inde) qu’en fonction des denrées et marchandises. La fiscalité sur le café fut unifiée en 1767 par exemple. En 1769, les activités de la compagnie des Indes orientales furent suspendues et les conditions du commerce avec les comptoirs coloniaux orientaux calquées sur les lettres patentes de 1717. En conséquence, ce commerce jouit des mêmes prérogatives, exemptions, mais il fut aussi assujetti aux mêmes formalités.
La Ferme générale comme agent fiscal colonial :
La présence de la Ferme générale sur les territoires coloniaux même demeura faible et se limita au Domaine d’Occident, c’est-à-dire aux territoires américains dès lors qu’ils furent rattachés à la Couronne (1674). En prenant à cette date le relais de l’administration de la compagnie des Indes occidentales, la Ferme du Domaine d’Occident, intégré en 1685 au bail Fauconnet, exploita fiscalement tant les îles (Saint-Christophe, Martinique, Guadeloupe, la Grenade, Sainte-Lucie, Saint-Barthélemy, Saint-Domingue à partir de 1697), le bastion canadien et son prolongement méridional par le Mississippi jusqu’à la Louisiane (jusqu’en 1763). En Orient, bien que l’île de Madagascar fût définitivement réunie au Domaine en 1686, une telle organisation ne fut pas établie. L’île Dauphine, comme l’île Bourbon (La Réunion) et l’île de France (Maurice) furent longtemps laissées aux mains des flibustiers, avant de passer sous l’administration directe des employés de la compagnie des Indes orientales en 1665 (La Réunion) et 1721 (Maurice). Celle-ci disposa du privilège exclusif aux îles de France et de Bourbon, aux Indes (comptoirs de Pondichéry, Chandernagor), au Bengale, en Chine jusqu’en 1769.
La fiscalité américaine sur place évolua aux XVIIe et XVIIIe siècles, mais la captation du produit fiscal par la métropole limitait les capacités d’action des bureaux. Se levaient sur le Domaine d’Occident une capitation, le droit de poids et un droit d’ancrage. La recette de ces droits ne couvrait pas les dépenses locales assurées par les sous-fermiers, a fortiori en temps de guerre. A ces droits initiaux, vinrent s’ajouter après 1717, la levée de 3 % sur la valeur des marchandises du cru de Martinique et Guadeloupe que les habitants faisaient passer directement à l’étranger sur des permissions extraordinaires, et en un droit de 40 sols par quintal de sucre raffiné lorsqu’il était pareillement exporté à l’étranger. Enfin, à partir de 1736, un impôt de 6 deniers par livre de café exportée (soit 2 livres 10 sols par quintal) fut prélevé, ce qui accrut sensiblement la recette locale. Au Canada, outre les droits domaniaux, les droits se décomposaient comme suit : un droit de quart sur les castors que les habitants livraient au magasin du Fermier du Domaine, fut établi, ce qui permit d’arrimer la fiscalité à la traite pelletière. Les droits levés sur les boissons à l’entrée constituaient également une recette majeure. Les droits furent augmentés en 1747 (arrêt du 13 janvier). Surtout, le gouvernement se décida à imposer les autres marchandises. Par l’édit de février 1748, la régie du Domaine d’Occident fut autorisée à lever 3 % de leur valeur, sauf sur les denrées déjà taxées (boissons, tabacs et orignaux). Un tarif fut publié.
Cependant, la Ferme du Domaine d’Occident levait également des droits en métropole : à l’origine en effet, il se levait à la sortie des îles d’Amérique une taxe de 5 % en espèces sur les denrées du cru. Ce droit était considéré alors comme un droit seigneurial et local. Réduit à 3 % en 1671 (arrêt du 4 juin), il continua d’être levé après la liquidation de la Compagnie des Indes occidentales et la création de la ferme du Domaine d’Occident. Cet impôt se levait à l’arrivée dans le royaume dans les bureaux de la métropole. Même quand la ferme du Domaine d’Occident intégra le bail Fauconnet (1685), ces bureaux ne furent jamais confondus avec les bureaux des traites. La Ferme du Domaine comptait 24 bureaux en métropole à la fin de l’Ancien régime, dans tous les ports du royaume, mais aussi aux points de contrôle les plus importants (Ingrandes, Septèmes). Les comptes généraux se dressaient à Paris dans le bureau du Domaine d’Occident, sur la foi des états des receveurs établis dans les ports.
Les recettes fiscales du Domaine d’Occident rapportaient près de 2,5 millions à la fin du XVIIe siècle. Elle se décomposaient comme suit:
A cette époque, le sucre et les castors constituaient les marchandises les plus rémunératrices pour la Ferme. Ces revenus augmentèrent naturellement tout en long du XVIIIe siècle. Nous estimons les droits levés sur le commerce américain par la ferme du Domaine d’Occident (hors droits de traites) en 1775 à 8 815 031 livres. La progression est d’autant plus impressionnante que les revenus pour le bail Domergue doivent être appréciés hors de la valeur des castors restants (1,7 million), soit pour 1690-1691 un produit de 844 766 livres seulement (revenus multipliés par 10).
Sources et références bibliographiques:
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Sources archivistiques:
- AD Somme, 1C 2927.
- AN, G1 31, Traites, direction de Bordeaux, Mémoires (1773-1778), dont Mémoire 63 verso, 9 août 1775.
- AN, G1 82, Mémoire de 1755.
- AN, G184, dossier 6 : « Etat des recettes et dépenses du Domaine d’Occident pendant la 4e année de Domergue, 1690-1691.
- AN, H11686, Etat des marchandises des îles et droits acquittés 1775.
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Sources imprimées:
- Lettres patentes du Roy portant règlement pour le commerce des Colonies françoises, avril 1717.
- Lettres patentes du Roy portant règlement pour le commerce qui se fait de Marseille aux isles françoises de l'Amérique en rectification des lettres patentes d’avril 1717, Paris, février 1719.
- Arrêt du Conseil d'Etat qui permet aux armateurs pour les îles et colonies françaises de charger des sels en Bretagne ou dans les autres ports, pour être employés au Cap-Vert à la salaison des bestiaux et chairs destinés pour lesdites îles sans payer aucuns droits, 21 mai 1741.
- Ordonnance du roi, qui défend aux gouverneur-lieutenant général, intendant gouverneurs particuliers des Isles sous le vent de l'Amérique, de percevoir le droit de deux pour cent sur les nègres et réunit aux caisses de la colonie le produit des fermes des cafés, boucheries cabarets, 23 juillet 1759.
- Arrêt du Conseil sur le commerce des Indes, 13 août 1769.
- Arrêt du Conseil d'Etat qui ordonne que le droit de demi pour cent accordé à la chambre du commerce de Marseille par l'arrêt du conseil du 18 août 1782 sera perçu dans les ports du Ponant sur les bâtiments armés à Marseille pour les îles françaises d'Afrique, d'Amérique et de l'Inde, lors de leur retour dans ces ports, 18 octobre 1782.
- Joseph Du Fresne de Francheville, Histoire de la Compagnie des Indes avec les titres de ses concessions et privilèges, dressée sur les pièces autentiques, Paris, Chez De Bure l'aîné, 2 t., 1746.
- Challaye, Mémoire pour le sieur Dupleix contre la Compagnie des Indes, avec les pièces justificatives, Paris, Leprieur, 1759.
- Louis-Léon-Félicité Brancas, comte de Lauraguais, Mémoire sur la Compagnie des Indes, précédé d'un Discours sur le commerce en général, Paris, Lecomte, 1769.
- Guillaume-Thomas Raynal, Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les Deux Indes, Genève, 10 t., 1781.
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Colonies » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
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