Marie-Laure Legay
La Ferme générale ne tirait profit qu’aux
conditions du privilège
accordé à la compagnie de commerce. L’article 43 de l’édit
d’août 1664 la concernant
exemptait par exemple celle-ci des droits sur les
marchandises en circulation dans le royaume et destinées
aux constructions, radoubs, armements et avitaillements de
ses vaisseaux. Cet article devint général et fut adopté
pour toutes les compagnies, pour celle du Sénégal et celle
de Guinée notamment. Le sel pris dans les greniers pour les
salaisons des viandes était également réglé au prix
marchand et ne pouvait être taxé. En revanche, le fret
retour était soumis aux droits d’entrée dans le royaume.
La compagnie des Indes orientales déchargeait à Lorient, fondée en
1666. L’arrêt du 12
juillet 1672 précisa les
rapports de la compagnie avec la Ferme générale (bail
François Legendre) : les marchandises étaient débarquées
et entreposées dans les magasins de la compagnie « en
présence des commis gardes dudit Legendre ». Des états
doubles de la quantité et qualité des marchandises étaient
dressés et les droits d’entrée réglaient au fur et à
mesure des ventes. En réalité, les denrées et les
marchandises quittaient la Bretagne, réputée étrangère, pour remonter la Loire ou changer de ports, et
réglaient alors les taxes d’entrée au bureau d’Ingrandes
ou aux bureaux de la Ferme générale établis
dans les ports. Si elles arrivaient à Nantes, les cargaisons
réglaient les droits de la traite domaniale de Nantes pour entrer dans le
royaume ; si elles étaient destinées à Lyon, elles n’étaient taxées qu’au quart
du tarif des Cinq grosses fermes, mais devaient régler les droits de la Douane de
Lyon. A La Rochelle, elles étaient
déchargées du droit de 1% que la ville était autorisée à
lever pour son compte…. Admise à fournir des toiles de coton blanches,
la compagnie des Indes
orientales payait ainsi les taxes d’entrée selon le tarif
de 1664, soit 18 sous la pièce
de 10 aulnes, mais 18 deniers la livre poids à Nantes. Certaines
marchandises se trouvaient omises du tarif de 1664 et dans ce cas, réglaient
3 % de leur valeur. A Nantes, on modifia régulièrement la
pancarte pour les
épices et drogues. Le tarif
demeurait modeste (6 deniers par centre pesant pour la
pancarte de 1696). Finalement,
la traite domaniale de Nantes fut même abolie, comme par
exemple sur les cafés.
A
la différence des Indes orientales, dont le commerce
colonial était un privilège réservé à une compagnie,
le commerce des îles d’Amérique constituait un
privilège réservé aux négociants des ports
métropolitains. Les Lettres patentes
d’avril 1717 assujettissaient
les marchands aux intérêts « exclusifs » de la Métropole,
c’est-à-dire de ses producteurs, négociants ou
armateurs. L’Exclusif fixa un tarif pour les denrées
coloniales. Ce tarif évolua par la suite sur le pied d’une
évaluation faite de gré à gré. « Elle est ordinairement
réglée avec les négociants de La Rochelle et renouvelée de six mois en six
mois par rapport à la variation du prix de ces
marchandises », lit-on dans un mémoire de 1755 conservé aux archives
nationales (G1 82). Ce tarif était publié dans tous les
autres ports par où le commerce des îles était permis, Les
droits étaient reçus sur le poids de marc net à Marseille, suivant les
lettres patentes de mois de février
1719. Voici le tarif fixé pour les six
premiers mois de 1764 [AD
Somme, 1C 2927 ]: Sucre brun, le cent pesant
(cent livres) : 23 liv. 10 sols ; Sucre brun de Cayenne : 19 liv. ; Sucre blanc raffiné 56
liv. ; Sucre terré : 35 liv. ; Sucre testé de forme : 27
liv. ; Sucre terré de Cayenne : 30 liv. ; Indigo, la
livre : 4 liv., 3 sols ; Rocou, le cent pesant : 72 liv. ;
Cacao, le cent pesant : 70 liv. ; Café, la livre : 10 sols ; Coton, le cent
pesant : 130 liv. ; Cuirs de bœufs tannés : 40 liv. ; Cuirs de veaux tannés : 25
liv. ; Cuirs en poil, la
pièce : 6 liv. ; Carret, la livre : 7 liv. ; Caouanne, la
livre : 3 liv. et 10 sols ; Cannefice, le cent pesant : 42
liv. ; Gingembre, le cent pesant : 24 liv. ; Confitures :
55 liv. ; Sirops des Isles : 15 liv. ; Graines de
chapelet, le cent pesant : 12 liv. ; Graines de Paradis,
le cent pesant : 18 liv. ; Bois Jaune : 8 liv. ; Bois
d’Inde : 16 liv. ; Bois de Gayac : 8 liv. ; Tabac en feuille, la livre :
1 1iv., cinq sols ; Tabac fabriqué, la livre : 15 sols.A
Paris, la Ferme générale enregistrait les copies des
factures des marchandises qui venaient des Indes, comme de
l’Amérique. Sur la base des factures issues de la traite des noirs, elle accordait une
réduction de la moitié des droits d’entrée sur les denrées
de fret retour. Les dernières décennies de l’Ancien régime
donnèrent l’occasion au gouvernement d’unifier sa
politique fiscale sur le commerce colonial. Celle-ci
s’organisa moins en fonction des secteurs géographiques
(Amérique, Afrique, Levant, Inde) qu’en fonction des
denrées et marchandises. La fiscalité sur le café fut unifiée en 1767 par exemple. En 1769, les activités de la
compagnie des Indes
orientales furent suspendues et les conditions du commerce
avec les comptoirs coloniaux orientaux calquées sur les
lettres patentes de 1717. En
conséquence, ce commerce jouit des mêmes prérogatives,
exemptions, mais il fut aussi assujetti aux mêmes
formalités.
Parmi ces formalités: l’obligation de retour
dans le port d’affrètement (article 2 de la loi d’avril 1717). Pour le commerce
des Indes, le retour se faisait obligatoirement à Lorient,
même après 1769. Si le
navire subissait des avaries et entrait dans un
port, sa cargaison était mise en magasin sous le
contrôle des employés de la Ferme générale et
acheminée à Lorient par acquit à caution. Pour le commerce de l’Amérique, cette obligation
fut de moins en moins respectée. A Bordeaux, les armateurs la contournaient
régulièrement. Certes, l’ordre du roi
du 9 septembre 1763
permettait le retour des navires affrétés pour
l’Amérique indistinctement dans tous les ports du
royaume, mais il fallait choisir un port ouvert au
commerce des îles. Encore en 1775, la compagnie de la Ferme
générale se plaignit de la licence des armateurs : « il
est étonnant que depuis quelques années, l’obligation du
retour des navires en France ait souffert tant de
difficultés de la part du commerce de Bordeaux. On en peut
juger par le nombre de contestations portés à ce sujet au
Conseil. Les négociants utilisent plusieurs prétextes,
tantôt que le navire était originaire des colonies, tantôt
qu’il était en mauvais état, tantôt on allègue une vente
forcée ». De même, lorsque le gouvernement accorda un
droit d’un demi pour cent sur les bâtiments français de
Marseille revenant
des îles d’Amérique, du Levant ou d’Afrique (1782),
il se trouva dans l’obligation de le faire lever dans tous
les ports du royaume, y compris ceux de l’Atlantique.
Sources et références bibliographiques:
Marie-Laure Legay, « Colonies » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 20/05/2024
DOI :