Bordeaux
La direction de
Bordeaux était composée de neuf bureaux. Le plus important
se situait dans la ville, à l’hôtel des fermes du Roy,
construit par Gabriel en 1735 -
1738 en bordure de la
place de la Bourse. A cette époque, plus de 120 employés
dépendaient du « Grand bureau » : le directeur, le receveur
général, les quatre
contrôleurs, les
visiteurs dont la fonction était particulière à Bordeaux
où se levaient des droits de traites dits de Convoi et
Comptablie, à savoir un « visiteur d’entrée » et deux
« visiteurs d’issue », les commis aux écritures tant du
« Grand bureau » que du bureau annexe des Chartrons, les
quatre « tailleurs de sel » qui mesuraient le sel à
l’arrivée dans la ville ; le personnel des brigades : celle de
Bordeaux (18 employés) et celle des Chartrons (10) ; les
13 employés des pataches
de Sainte-Croix et les 13 de celle du Bacalan; le
personnel du magasin et de la halle (appréciateurs,
vérificateurs, gardes, les trente « billetiers » chargés
de délivrer les billettes après l’enregistrement des
entrées et sorties des marchandises…). Il est intéressant
d’observer l’origine de la formation des bureaux dans
cette ville : le troisième, installé à la Porte du Chapeau
rouge, fut établi à la requête de la Chambre de commerce
de
Guyenne, appuyée par les magistrats de
la ville. « La ville
de Bordeaux se charge de faire
construire à ses frais ce nouveau bureau sur le plan qui
en sera donné par la Ferme générale ou par son directeur »
(20 juillet 1774). La Ferme
générale accepta la proposition à condition d’y adjoindre
un magasin « dans lequel seront renfermés tous les cafés
des isles », mais aussi des logements convenables pour les
officiers et contrôleurs. A l’entrée, les marchands ou
leurs représentants faisaient leur déclaration et
indiquaient le lieu d’entrepôt pour obtenir un permis.
Ils étaient autorisés à charger pour les colonies après avoir
obtenu un permis de sortie délivré par le bureau où
l’acquit à caution avait
été donné. Lorsque Beaumarchais arma trois navires pour
les colonies sur l’ordre du Marquis de Castries, il dut se
plier à cette procédure. L’un de ces navires étant sous
pavillon étranger, il fallut qu’il attende une permission
expresse qui tarda. « Beaumarchais se transporta à la
direction des fermes, se permit les expressions les moins
modérées et alla jusqu’à nier qu’il eut connaissance des
engagements exprimés » (16 décembre
1782).
Tout ce personnel était chargé des
droits qui se levaient sur le commerce de la ville en
pleine expansion, dont les droits de Convoi, Comptablie et
courtage, des droits spécifiques sur les drogueries et l’alun, les droits
d’acquits et les sols pour livre sur le tout. Convoi et comptablie étaient
distinctes, mais se levaient aux mêmes bureaux et furent
incluses en septembre 1687 dans
le bail de la Ferme générale. La Comptablie ou
Coutume de Bordeaux
était un droit général de traites, réuni au Domaine par la déclaration du 23 novembre
1552 et levé sur les
marchandises à l’entrée et à la sortie de la
sénéchaussée de Bordeaux. A l’entrée, le
droit était de 6 % de la valeur des marchandises déclarées
étrangères et 3, 5 % pour les marchandises entrées à compte
français ; à la sortie, ce taux était de 5 % pour les
denrées à compte étranger (anglais notamment) et 2, 5 %
pour le compte français. Dans les autres ports de la
sénéchaussée désignés sous le terme des filleules de Bordeaux (Libourne et
Bourg sur la Dordogne, Blaye sur la Gironde), cette taxe
se levait plus simplement à hauteur de 5 % pour l’entrée
et la sortie et sans distinction de compte. Pour éviter
les multiples contestations liées à l’évaluation des
marchandises, un tarif fut concerté en
1688 entre la Ferme générale et les
marchands de Bordeaux et
révisé en 1702, le tout sous
l’inspection de l’intendant. Sur les vins, le
droit de Comptablie était fixe avec des modérations
accordées aux bourgeois de la ville.
Le Convoi, droit de
sauvegarde intial, se levait pareillement à Bordeaux et
fit l’objet de divers règlements, comme celui de 1611. Il s’agissait d’un droit
particulier à la sortie sur les vinaigres, eaux-de-vie, noix,
châtaignes, cire et résine, et à l’entrée et à la sortie
sur le vin, le sel, le miel et
les prunes. La Ferme générale consentit en 1719 à ce que les eaux de vie de Saintonge qui
descendaient la Gironde jusqu’à Bordeaux et avaient donc
été taxées à Mortagne pour le droit de la Traite de Charente, fussent
exemptées dès lors qu’elles étaient reversées sur les
bateaux étrangers. De même sur le sel, les commis de la
Ferme s’entendaient avec les entrepreneurs qui chargeaient
les bateaux de quantités importantes de sel au départ des
salines de Brouage, île de
Ré et île d’Oléron : aux bureaux d’arrivée, à Riberou, Charente, Marans,
Mortagne sur Gironde, Blaye, Libourne, Bordeaux…, on
optait soit pour les droits de la Traite de Charente, soit pour ceux
de Convoi et Comptablie de Bordeaux. Les droits de Convoi et Comptablie
étaient régis en sous-ferme. Le 21 janvier 1660, après les troubles de
l’Ormée et la signature de la paix des Pyrénées (1659), elle fut adjugée à
hauteur de 3 420 000 livres, y comprenant les droits du
sel en Poitou et en
Saintonge. Cette ferme fut augmentée en
1680 du droit de courtage. Les courtiers de la ville
assistaient les étrangers dans leurs achats, déclarations
et acquits aux bureaux de la Ferme. Officiers royaux,
connoissance du commerce ; il y en a mesme quy sont si
décriez par leur mauvaise conduite que personne n'ozeroit
se confier à eux. D'ailleurs la plus grande partie de ces
offices est possédée par des personnes incapables d'en
faire les fonctions, puisqu'on voit dans le corps des
courtiers des prêtres, des clercs, des huissiers et des
employez dans les Fermes » (1712).
Les droits de convoi, comptablie et courtage
étaient dus lors de l’entrée ou de la sortie de
marchandises de Bordeaux, mais aussi de villes proches se
situant sur la route du chef-lieu de la généralité.
Certaines disposaient d’un receveur : les bureaux de Pauillac, Branne, Libourne, Blaye, Bourg, Castillon,
Coutras, Langon, Saint-Macaire, Castelnau et La
Teste-de-Buch, tous placés sur les routes empruntées pour
se rendre à Bordeaux ; d’autres s’établirent comme bureaux
secondaires, par exemple en 1741
au voisinage du « Marensin, la Chalosse, le paie
de Mousay depuis la Minière de Layre à l’embouchure du
havre d’Arcachon jusqu’à Langon ». Le bureau le plus
important après celui de Bordeaux était celui de Blaye,
qui comptait 75 employés vers 1740. Surtout, ce bureau présentait une spécificité :
sachant que convergeaient à Blaye les marchandises
transportées sur la Garonne et sur la Dordogne, ses
brigades étaient maritimes. À la même période, le
bureau de Libourne
employait une douzaine de personnes. Les
autres bureaux étaient alors regardés comme mineurs par
rapport à celui de Bordeaux. À titre d’exemple, Coutras
n’exigeait la présence que d’un commis des fermes.
Malgré
cette présence sur le territoire de la sénéchaussée, la
fraude aux droits de
Convoi et Comptablie se pratiquait régulièrement. Deux
vices fixèrent l’attention de la Ferme générale dans
l’administration de cette douane, « la plus intéressante
du royaume, par l’étendue du commerce et l’importance des
expéditions ». « Le premier concerne le séjour trop
prolongé des marchandises dans les magasins » ; les
négociants abusaient en effet du temps de magasin (plus de
quatre jours). Le second vice tenait à « la manutention
des hommes de peine commis à la garde des marchandises et
à leur transport chez les négocians » : comme l’intendant
Dupré de Saint-Maur, les Fermiers généraux jugeaient qu’il
fallait fixer un salaire raisonnable aux commis de gardes
(1782). Sur les 314
procédures ayant abouti à une confiscation des
marchandises entre 1692 et
1746, Sophie
Evan-Delbrel a établi une répartition de 10, 2 % des cas
concernant le sel, 18, 8 % des cas concernant le vin et les
eaux-de-vie, 25 % concernant les articles textiles.
L’élection jugea de son côté les fraudes au monopole du
tabac.
Les droits d’acquits à caution et acquits de paiement qui se
payaient à la descente des marchandises aux receveurs et
contrôleurs des droits revinrent également à l’adjudicataire de la
Ferme générale à partir de 1688. Ces droits, soumis aux sols pour livre, renforçaient l’intérêt de cette
recette. Les assignations qui
pesaient sur celle-ci en diminuaient le produit net
cependant : gages du Parlement, réparations et
aménagements de la ville et de ses fortifications,
pensions
diverses…
Contenir les privilèges s’avérait
tout aussi difficile à Bordeaux qu’ailleurs. La
déclaration du 16 septembre 1638
portait que les anciens et nouveaux droits
de la Comptablie devaient être payés par toutes
sortes de personnes de quelque qualité et condition
qu’elles fussent. Cette disposition fut
reportée dans le bail du Convoi et Comptablie fait au nom
de Pierre Geuslin en 1643.
Profitant des désordres qui eurent lieu en Guyenne
pendant la Fronde, nombre de communautés comme
les chanoines de l’église de Saint-André faisant valoir
des titres obtenus des rois d’Angleterre en 1358
et 1391, contestèrent le droit
des commis de lever ces droits. L’épisode ormiste (1651-1653) et la sédition de 1675
engagèrent le gouvernement à renforcer
l’encadrement judiciaire et fiscal des privilèges. La Cour des aides fut déplacée à Libourne en 1675 puis réintégrée à Bordeaux
(1690) mais déchargée du
contentieux en première instance « des droits du roi »,
contentieux confié d’abord à un commissaire (1679) puis à une juridiction
des traites (1691). Par
ailleurs, la déclaration du 15 novembre
1675 limita la portée des libertés locales
vis-à-vis des « droits du roi ».
Toutefois,
l’interprétation des titres et règlements
permettait d’espérer un arbitrage en faveur des
habitants pour la circulation des marchandises à
leur compte. Sur le sel par exemple : en
1684, 1736 et
1764, les Bordelais prétendirent à des
exemptions des droits pour la sortie, prétention que
la Ferme combattit. Elle dut cependant
suspendre la levée sur ordre du roi en 1764. Les exemptions des Chartreux, reconnus en
1640 pour leur
consommation de vins (jusqu’à trente muids) et de
sel (jusqu’à quatre muids) furent confirmés en 1716 et
1742. Vis-à-vis des étudiants, la
compagnie dut confirmer également en
1751 le privilège d’exemption des droits de
Convoi et Comptablie sur les 15 premiers pots de vin
consommés dans le mois. Ces barils devaient être
accompagnés des certificats des curés des lieux d’envoi,
entrer par les ports du Caillou, Porte Saint-Jean et des
Salinières ; les étudiants destinataires étaient
enregistrés, les certificats enliassés et les barils
soumis au droit de visite des employés de la Ferme.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AD Gironde, C 2379, mémoire des fermiers généraux du 10 octobre 1738.
- AD Gironde, C 2383, délibération des fermiers généraux du 27 juin 1740.
- AD Gironde, C 4100, reçu de François Le Moyne, fermier de l’ancien et nouveau Convoi et Comptablie, suivant le bail du 21 janvier 1660 : 3 420 000 l..
- AD Gironde, C 4255, délibération des fermiers généraux du 19 septembre 1749.
- AD Gironde, C 4377, Mémoires sur les courtiers de Bordeaux.
- AD Gironde, C 4407, règlement de la Ferme générale du 21 août 1736.
- Archives municipales de Bordeaux, ms 221, f° 208 à 261, Moyens dont on se sert pour frauder les droits sur les marchandises, à l’entrée ou à la sortie de Bordeaux, et remèdes à ces abus.
- AN, G1 311, 34 v°, 20 juillet 1774 (établissement du troisième bureau).
- AN, G1 312, Mémoire du 16 décembre 1782 (affaire Beaumarchais) et Mémoire du 22 octobre 1782 (critique des opérations de douane).
- AN, G7 1147, requête des chanoines du 12 aout 1702.
- AN, H1 1686, 1775 : « Etat des denrées portées en 1775 des colonies françaises de l’Amérique dans les ports de la Métropole, leur valeur déterminée sur le prix commun, produit des droits qu’elles ont payés à leur sortie des isles et à leur entrée en France, quantités de celles qui ont passé à l’étranger et de celles qui ont été consommées dans le Royaume, avec les droits de consommation qui ont été perçus, argent venu des isles, valeur arbitrée des production peu importantes qui ne sont pas détaillées dans ce tableau ».
-
Sources imprimées:
- Jean-Baptiste Nolin, Direction de Bordeaux, Comprenant La Séneschaussée de Bordeaux et Le Pays de La Nouvelle Conqueste Dédiée A Messieurs Les Fermiers Généraux des Fermes Royalles Unies, Paris, 1700.
- Jean-Baptiste Nolin, Les directions de Bordeaux, Dacqs, pour les fermes unies de France, divisées par départemens dans lesq.ls les bureaux sont marqués, carte s.l.n.d., XVIIIe siècle.
- Lettres patentes qui règlent les déchets qu'il convient accorder aux maîtres de barques qui vont charger des sels à Brouage par les rivières de Charente, Marans et autres, Versailles, 10 novembre 1723.
- Arrêt du Conseil d’Etat qui prescrit les formalités à observer par les raffineurs de Bordeaux, La Rochelle, Rouen et Dieppe pour jouir de la restitution des droits d'entrée sur les sucres par eux raffinés provenant des sucres bruts des îles et colonies françaises de l'Amérique et qu'ils enverront à l'étranger, 17 novembre 1733.
- Etat des droits qui se perçoivent aux bureaux d'entrée et de sortie à Bordeaux avec des observations sur les marchandises, 1737, 276 p.
- Arrêt du Conseil d'Etat qui déboute les Capucins et les Récollets de Bretagne des fins de leurs demandes tendante à jouir de l'exemption des droits de la comptablie de Bordeaux sur les vins qu'ils tirent de ladite ville, 20 mai 1738.
- Jacques Savary des Bruslons et Philémon-Louis Savary, Dictionnaire universel de commercei>, Copenhague, 1765, article « Bordeaux ».
- Jean-Louis Moreau de Beaumont, Mémoires concernant les droits impositions en Europe, tome 3, Paris, Imprimerie royale, 1769, p. 534-540.
- Jacques-Philibert Rousselot de Surgy, Encyclopédie méthodique. Finances, vol. 1, Paris, 1784, p. 347-355 et p. 397-399.
-
Bibliographie scientifique:
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- François Crouzet, « Le commerce de Bordeaux », dns François-Georges Pariset (dir.), Bordeaux au XVIIIe siècle, Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest, 1968, p. 250-265.
- Paul Butel, « La croissance commerciale bordelaise dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », 2 t., Université de Lille III, 1973.
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- Sophie Delbrel, « La fraude des vins dans le port de Bordeaux : une pratique toujours renouvelée (XVIII-XIXe siècles), dans M. Figeac-Monthus et C. Lastécouères (dir.), Territoires de l’illicite : ports et îles, de la fraude au contrôle (XVIe-XXe siècle), Paris, A. Colin, 2012, p. 113-127.
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- Hiroyasu Kimizuka, Bordeaux et la Bretagne au XVIIIe siècle : les routes du vin, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.
Marie-Laure Legay et Sophie Delbrel, « Bordeaux » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 21/11/2024
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