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Déclaration

Arnaud Le Gonidec





Instrument privilégié pour l’exercice des droits des traites, des aides et domaniaux, la déclaration préside au contrôle, fonde le prélèvement et, le cas échéant, sert à qualifier la fraude. La déclaration est un acte de volonté qui, établissant la jonction entre l’individu et l’administration, révèle la contractualisation progressive de l’obligation fiscale. Un arrêt du Conseil daté du 7 octobre 1755, rapporté par Bellande, stipule en effet que « les déclarations portées sur les Registres des Fermiers doivent faire foi en Justice ». Ce document prend ainsi la valeur d’un acte authentique. La déclaration est une pièce essentielle de la procédure de dédouanement dont les principes sont définis dès le XVIe siècle dans les édits du 20 avril 1542 et de septembre 1549 stipulant que les marchands doivent faire « une déclaration par écrit signée de leurs mains qu’ils affirmeront par serment ». Le règlement général sur les traites de mai 1607 aiguise la procédure qui doit être nécessairement préalable à l’ouverture et au contrôle des colis. S’il en était autrement il serait en effet impossible de juger de la volonté bonne ou mauvaise du déclarant. Tour à tour qualifiée de « mémoire, facture ou inventaire », la déclaration doit « contenir au vrai, sans aucune supposition ou déguisement, toutes chacune les marchandises denrées transportées, par poids, par nombre, au quantité qualité ». Reproduites dans les baux de la Ruelle en 1643, Martinant en 1664 et Fauconnet en 1680, ces dispositions trouvent leur cadre légal définitif dans le deuxième titre de l’ordonnance des Cinq grosses fermes de février 1687. Le marchand est tenu de présenter sa cargaison dans un bureau de recette. Il en existe dans les grandes villes commerciales comme Paris, Lyon, Tours et Troyes ainsi que dans la zone des « quatre lieues limitrophes » dans la bordure des Cinq grosses fermes et aux frontières extérieures du royaume. D’après les termes de l’article 4, la déclaration doit renseigner sur « la qualité, le poids, le nombre la mesure des Marchandises, le nom du Marchand ou du Facteur qui les envoye à celui à qui elles sont adressées, le lieu du chargement celui de la destination, les marques numéros des ballots en marge des déclarations ». Pour le commerce avec le Levant et l’Occident, les capitaines des vaisseaux sont tenus de faire leur déclaration dans les vingt-quatre heures après leur arrivée au port et de représenter leurs livres de bords, charte-partie et connaissement pour prouver que les marchandises transportées sont destinées « pour d’autres lieux ». À défaut, le fermier peut demander le paiement des droits d’entrée pour l’ensemble des marchandises transportées par le vaisseau. Après avoir reçu la signature du déclarant, le registre de la déclaration prend valeur d’un acte authentique qu’il est impossible de modifier car les droits ne sont pas calculés d’après le contrôle effectif des marchandises mais selon les termes de la déclaration. Si la quantité effective est inférieure à celle déclarée, le marchand paye suivant sa déclaration. Toute irrégularité motive une sanction qui est variable suivant la nature de l’infraction. Si elle porte sur la quantité, elle est assimilée à une simple faute. L’excédent est alors confisqué et le contrevenant condamné à une amende de 300 livres. Si l’infraction porte sur la qualité des marchandises, ce n’est plus une faute mais une fraude qui motive, outre l’amende de 300 livres, la confiscation de la totalité de la cargaison.

Bien que l’ordonnance de février 1687 ne couvre initialement que l’étendue des Cinq grosses fermes, la formalité de la déclaration est élargie à l’ensemble du royaume par l’arrêt du Conseil du 2 septembre 1687. L’exactitude avec laquelle les marchandises doivent être déclarées est source de litiges récurrents entre les marchands et la Ferme générale jusque dans les dernières années de l’Ancien Régime. Dès le 4 août 1688, les marchands de Rouen obtiennent un arrêt de la Cour des aides de leur ville qui, confirmant une sentence du juge des traites de la juridiction, ignore les formes de la déclaration prescrites par l’ordonnance de février 1687 dont l’injonction de déclarer la quantité précise des marchandises. Le Conseil intervient par son arrêt du 23 novembre 1688, casse cette décision et ordonne l’exécution de l’ordonnance de 1687. De même, les marchands nantais obtiennent un jugement favorable du siège présidial de Nantes. Le Conseil évoque l’affaire et donne un règlement pour la prévôté de Nantes par l’arrêt du 24 mars dans lequel la déclaration est prescrite suivant les mêmes formalités que l’ordonnance de 1687. Un arrêt du Conseil du 9 juin 1722, élargissant ce dispositif pour le commerce avec les Îles françaises d’Amérique et du Canada, réveille l’opposition des marchands. Dès les premiers mois de l’année 1723, les marchands de Rouen et les députés des Chambres de commerce des principales villes du royaume se plaignent des « saisies pour excédent de déclaration ». Après avoir reçu les réponses des fermiers généraux, le Conseil tranche le litige et édicte, par l’arrêt du 9 août 1723 et les lettres patentes de la même année, un règlement de 9 articles « pour la forme manière en laquelle seront faites les Déclarations des Marchands-Négociants ». Si le premier article reprend les termes exacts de l’ordonnance de 1687, les suivants en tempèrent l’application. La quantité doit être déclarée selon le « tarif », « c’est-à-dire au poids pour les droits qui doivent être payés au poids, à la mesure celles qui doivent payer à la mesure, au nombre celles qui doivent payer au nombre ». Les déclarations sont réputées « entières » lorsque le poids effectif n’excède que du dixième celui déclaré. Il est interdit au fermier de confisquer cet excédent dont les droits doivent cependant être payés. S’il est supérieur du dixième, l’excédent est acquis au fermier et le contrevenant mis à l’amende de 300 livres. Les droits grevant les marchandises spongieuses, comme la laine, le lin et le coton, sont payés d’après le poids indiqué sur les factures. Les marchandises sujettes à déchet et coulage, comme le sucre, le beurre et l’huile, sont redevables du poids effectif sans que le marchand ait besoin de fournir une déclaration. Il lui suffit de présenter le même nombre de contenant que sur la déclaration rédigée sur le lieu du chargement. Enfin, la marge d’erreur tolérée pour les métaux comme les fers, plombs et étains ne peut excéder cinq pour cent.

Malgré ces nouvelles dispositions, la perception faite au pied de la déclaration est un principe encore contesté en 1777. Les marchands de Rouen obtiennent gain de cause devant la Cour des aides normande dont l’arrêt du 24 mai récuse l’obligation qui leur est faite de donner une déclaration préalable au déchargement et au paiement des droits. Le Conseil évoque l’affaire sur les plaintes du fermier et casse cette sentence par son arrêt du 24 juin 1777. Le motif invoqué démontre que la déclaration n’est pas tant une technique facilitant le prélèvement des droits qu’un moyen pour l’administration de contrôler ses agents. En effet, Magnien souligne que la déclaration « n’était qu’une précaution qui pouvait seule garantir la régie des infidélités des prévarications de ses commis de la connivence des marchands avec ses employés ». Assurant « une double sûreté », « la déclaration devenait le contrôle de la visite, la visite le contrôle de la déclaration ». En termes d’aides, les principes de la déclaration sont posés par l’ordonnance de janvier 1585 sur les vendeurs de vin en gros de la ville de Paris. Le transporteur est tenu « de venir déclarer au Bureau estably pour la perception dudit droict le nom surnom des marchands à qui appartiendront lesdits vins, la quantité nombre d’iceux au vray ». La déclaration doit être accompagnée des lettres de voiture si le transporteur n’est pas lui-même le propriétaire des marchandises. Après que les marchandises aient été visitées et les droits payés, la déclaration et les lettres de voiture sont retenus par l’administration en échange d’un acquit de paiement. Cette procédure est développée par l’ordonnance sur les aides de juin 1680 qui précise que la déclaration et les lettres de voiture doivent être dressées en « double par devant-notaires, tabellions ou greffiers et remplies d’une même main ». L’exercice des droits est ainsi conforté par la contrainte judiciaire. En effet, les actes déclaratifs doivent être « en bonne dûë forme, non suspects » selon Jacques Jacquin, car toute « nullité emporte confiscation amende ». C’est ici une différence notable entre le droit des aides et celui des traites car si le règlement du 9 août 1723 tempère la rigueur de la déclaration au registre douanier, il en est autrement du côté des aides puisque les arrêts des 5 janvier et 12 février 1723 autorisent la confiscation totale de la cargaison dès lors que la déclaration n’est pas conforme avec la réalité contrôlée. Le manque de continuité dans la jurisprudence du Conseil étonne d’autant plus que le règlement général sur les traites de mai 1607 prévoyait la saisie de l’ensemble de la cargaison en cas d’excédent. Il semble ainsi que le Conseil ne soit pas resté insensible aux arguments des députés du commerce. L’ordonnance sur les aides de juin 1680 présente la forme de la déclaration à l’article premier du titre 7. Dès leur arrivée, les voituriers doivent se présenter aux bureaux des barrières, des portes et des ports pour déclarer la quantité de vin qu’ils transportent, les noms, surnoms et adresses des propriétaires, le lieu du cru et celui du chargement. Enfin, l’adresse de l’entrepôt ou du lieu de vente doit aussi être déclarée. Dans les pays d’aides, les déplacements de vin doivent faire l’objet d’une déclaration préalable dans un bureau des fermes. Elle doit renseigner sur la quantité des boissons, les lieux de chargement et de destination, les noms, surnoms et adresses des propriétaires et de ceux à qui le vin est adressé, le voiturier reçoit un congé de remuage ou si c’est un pays où le gros n’a pas cours, un acquit des droits de courtier-jaugeurs. À défaut, le contrevenant risque la confiscation des boissons et de l’équipage, et d’une amende de 100 livres qui peut être modérée jusqu’à 25 livres.

Pour recevoir ces déclarations, les bureaux des aides doivent être ouverts de 5h du matin jusqu’à midi et de 14h jusqu’à 20h pour les mois d’avril à septembre. Le reste de l’année, les horaires d’ouvertures sont de 7h jusqu’à midi et de 14h jusqu’à 17h. Dans les localités dépourvues de bureau, la Ferme peut contraindre la nomination d’une personne pour recevoir les déclarations. Cette personne doit être solvable et reçoit un salaire de 6 deniers pour livre de recette en guise de dédommagement. Pour pouvoir vendre du vin au détail, les particuliers devaient déclarer toutes les boissons en leur possession en prenant le soin de distinguer celles destinées à leur propre consommation de celles destinées à la vente. La déclaration devait préciser si la vente était « à pot », c’est-à-dire si le consommateur ne s’attablait pas, ou si elle était « à assiette ». Les commis devaient remettre « sans frais » l’acte de la déclaration au vendeur qui, ensuite, était tenu d’installer une enseigne à la porte du lieu de vente. En cas de contrôle, l’absence de déclaration est moins sévèrement réprimandée qu’une déclaration mensongère. L’amende est de 100 livres dans le premier cas contre 300 livres si la vente est à assiette alors que la déclaration indique une vente à pot. Débitant et consommateur sont solidaires de la condamnation dans tous les cas. La même procédure déclarative est demandée pour les octrois des villes. Les bouchers et les marchands forains qui conduisent du bétail vivant ou de la viande sont tenus de déclarer la quantité, la qualité ainsi que l’âge des bestiaux avant de payer les droits, à peine de 300 livres d’amende et de confiscation de la marchandise et de l’équipage. Outre les droits des traites et des aides, la déclaration est également une procédure privilégiée pour l’exercice des droits domaniaux. Un arrêt du Conseil du 9 janvier 1748 ordonne par exemple aux communautés religieuses et laïques de remettre aux intendants des provinces de Flandre et de Hainaut les déclarations de leurs biens à partir desquelles seront fixés les droits d’amortissement. Si la déclaration devient la pièce maitresse des réformes successives de la fiscalité directe tout le long du XVIIIe siècle, la législation royale avait déjà familiarisé le contribuable avec cette procédure depuis la seconde moitié du XVIe siècle. Aussi convient-il de nuancer la qualité de « révolution fiscale » parfois attribuée à la déclaration par l’historiographie.





Sources et références bibliographiques:

    Sources archivistiques:
  • AN, G2 173 (14) : Arrêt de la Cour des comptes de Normandie qui condamne les Sieurs Pellerin, bouchers à Pont-l’Évêque, pour fausse déclaration, 1787.
  • AN, G2 317 (17) : Arrêt ordonnant aux gens de mainmorte de remettre es mains des intendants et commissaires répartis dans les provinces de Flandre et de Hainaut des déclarations de tous leurs biens et fixant les droits que doivent payer les redevables, 9 janvier 1748.
  • AN 129AP/1 : Bail général des cinq grosses fermes de France faict à Me Toussainct de la Ruelle le premier janvier 1643, Paris, Imprimerie d’Antoine Champenois  édit du 20 avril 1542, dans Pierre Génois, La grande conférence des ordonnances et édits royaux, Paris, Chez Denys Thierry, 1678, t. 2, p. 965-971.

    Sources imprimées:
  • Règlement du 12 janvier 1585 pour les vendeurs de vin en gros de la ville de paris, dans Jacques Corbin, Nouveau recueil des edicts, ordonnances et arrest de l'auctorité, iuridiction, cognoissance des Cours des Aydes, Eslections, Greniers, Iuges des Traictes, Maistres des Ports autres dependans, Paris, Chez la Vefue Claude de Monstr’œil, 1623, p. 713-714.
  • Règlement général du Conseil sur les traites du 30 mai 1607, dans Vivent Magnien, Recueil alphabétique des droits de traites uniformes, de ceux d’entrée et de sortie des Cinq grosses fermes, de Douane de Lyon et de Valence, s. l. s. n., 1786, t. 4, p. 1-13.
  • Arrêts du Conseil des 9 juin 1722, 9 août 1723 et lettres patentes du 30 septembre 1723 dans Chambon, Le commerce de l’Amérique par Marseille, Avignon, s.n., 1764, t. 1, p. 115-119.
  • Joseph-Nicolas Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale, Paris, Chez Panckoucke, 1788, t. 17, v° « déclaration », p. 198-210.
  • Jacques Savary des Bruslons, Dictionnaire universel de commerce, Copenhague, Chez les Frères Philibert, nouvelle édition, 1760, t. 2, v° « déclaration », col. 30-32.


    Bibliographie scientifique:
  • Jean-Claude Boy, L’administration des douanes en France sous l’Ancien Régime, Neuilly-sur-Seine, Association française pour l’Histoire de l’Administration des Douanes, 1976, p. 34-37.
  • Mireille Touzery, L’invention de l’impôt sur le revenu. La taille tarifée, 1715-1789, Paris, CHEFF, 1994.
  • Jean Clinquart, La douane et les douaniers, de l’Ancien Régime au Marché Commun, Paris, Tallandier, 1990, p. 167-174.
  • « Le dédouanement des marchandises sous l’Ancien Régime », dans La circulation des marchandises dans la France de l’Ancien Régime, dir. D. Woronoff, Paris, CHEFF, 1998, p. 103-144.
  • Olivier Poncet, « Penser la déclaration de revenus à la fin du règne de Louis XIV. Une maturité théorique et matérielle », dans O. Poncet et K. Weidenfeld (dir.), Déclarez vos revenus ! Histoire et imaginaire d’un instrument fiscal (XVIIIe-XXIe siècle), Paris, École des Chartes, Études et rencontres, 2019, p. 15-60.
  • Mathieu de Oliveira, « Les documents déclaratifs en France (fin XVIIe-début XXe siècle) », dans Déclarez vos revenus ! Histoire et imaginaire d’un instrument fiscal (XVIIIe-XXIe siècle), Paris, École des Chartes, Études et rencontres, 2019, p. 109-128.




Citer cette notice:

Arnaud Le Gonidec, « Déclaration » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
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