Déclaration
Bien que
l’ordonnance de février 1687 ne
couvre initialement que l’étendue des Cinq grosses fermes, la formalité de la
déclaration est élargie à l’ensemble du royaume par
l’arrêt du Conseil du 2 septembre 1687. L’exactitude avec laquelle les marchandises
doivent être déclarées est source de litiges récurrents
entre les marchands et la Ferme générale jusque dans les
dernières années de l’Ancien Régime. Dès le 4 août 1688, les marchands de Rouen obtiennent un arrêt de
la Cour des aides de leur
ville qui, confirmant une sentence du juge des traites de la juridiction,
ignore les formes de la déclaration prescrites par
l’ordonnance de février 1687
dont l’injonction de déclarer la quantité précise des
marchandises. Le Conseil intervient par son arrêt du 23
novembre 1688, casse cette
décision et ordonne l’exécution de l’ordonnance de 1687. De même, les marchands
nantais obtiennent un jugement favorable du siège
présidial de Nantes. Le
Conseil évoque l’affaire et donne un règlement pour la
prévôté de Nantes par
l’arrêt du 24 mars dans lequel la déclaration est
prescrite suivant les mêmes formalités que l’ordonnance de 1687. Un arrêt du Conseil du 9
juin 1722, élargissant ce
dispositif pour le commerce avec les Îles françaises
d’Amérique et du Canada,
réveille l’opposition des marchands. Dès les premiers mois
de l’année 1723, les marchands
de Rouen et les députés des
Chambres de commerce des principales villes du royaume se
plaignent des « saisies pour excédent de déclaration ».
Après avoir reçu les réponses des fermiers généraux, le
Conseil tranche le litige et édicte, par l’arrêt du 9 août
1723 et les lettres
patentes de la même année, un règlement de 9 articles
« pour la forme manière en laquelle seront faites les
Déclarations des Marchands-Négociants ». Si le premier
article reprend les termes exacts de l’ordonnance de 1687, les suivants en
tempèrent l’application. La quantité doit être déclarée
selon le « tarif », « c’est-à-dire au poids pour les
droits qui doivent être payés au poids, à la mesure celles
qui doivent payer à la mesure, au nombre celles qui
doivent payer au nombre ». Les déclarations sont réputées
« entières » lorsque le poids effectif n’excède que du
dixième celui déclaré. Il est interdit au fermier de
confisquer cet excédent dont les droits doivent cependant
être payés. S’il est supérieur du dixième, l’excédent est
acquis au fermier et le contrevenant mis à l’amende de 300
livres. Les droits grevant les marchandises spongieuses,
comme la laine, le lin et le coton, sont payés d’après le
poids indiqué sur les factures. Les marchandises sujettes
à déchet et coulage, comme
le sucre, le beurre et l’huile, sont redevables du poids
effectif sans que le marchand ait besoin de fournir une
déclaration. Il lui suffit de présenter le même nombre de
contenant que sur la déclaration rédigée sur le lieu du
chargement. Enfin, la marge d’erreur tolérée pour les
métaux comme les fers, plombs
et étains ne peut excéder cinq pour cent.
Malgré ces
nouvelles dispositions, la perception faite au pied de la
déclaration est un principe encore contesté en 1777. Les marchands de Rouen obtiennent gain de
cause devant la Cour des aides normande dont l’arrêt
du 24 mai récuse l’obligation qui leur est faite de donner
une déclaration préalable au déchargement et au paiement
des droits. Le Conseil évoque l’affaire sur les plaintes
du fermier et casse cette sentence par son arrêt du 24
juin 1777. Le motif invoqué
démontre que la déclaration n’est pas tant une technique
facilitant le prélèvement des droits qu’un moyen pour
l’administration de contrôler ses agents. En effet,
Magnien souligne que la déclaration « n’était qu’une
précaution qui pouvait seule garantir la régie des
infidélités des prévarications de ses commis de la
connivence des marchands avec ses employés ». Assurant
« une double sûreté », « la déclaration devenait le
contrôle de la visite, la visite le contrôle de la
déclaration ». En termes d’aides, les principes de la déclaration sont posés par
l’ordonnance de janvier 1585
sur les vendeurs de vin en gros
de la ville de Paris. Le transporteur est tenu « de venir
déclarer au Bureau estably pour la perception dudit droict
le nom surnom des marchands à qui appartiendront lesdits
vins, la quantité nombre d’iceux au vray ». La déclaration
doit être accompagnée des lettres de voiture si le
transporteur n’est pas lui-même le propriétaire des
marchandises. Après que les marchandises aient été
visitées et les droits payés, la déclaration et les
lettres de voiture sont retenus par l’administration en
échange d’un acquit de paiement. Cette procédure est développée par l’ordonnance sur les aides de juin 1680 qui précise que la
déclaration et les lettres de voiture doivent être
dressées en « double par devant-notaires, tabellions ou
greffiers et remplies d’une même main ». L’exercice des
droits est ainsi conforté par la contrainte judiciaire. En
effet, les actes déclaratifs doivent être « en bonne dûë
forme, non suspects » selon Jacques Jacquin, car toute
« nullité emporte confiscation amende ». C’est ici une
différence notable entre le droit des aides et celui des traites car si le règlement du 9 août 1723 tempère la rigueur de la
déclaration au registre douanier, il en est autrement du
côté des aides puisque les
arrêts des 5 janvier et 12 février 1723
autorisent la confiscation totale de la cargaison
dès lors que la déclaration n’est pas conforme avec la
réalité contrôlée. Le manque de continuité dans la
jurisprudence du Conseil étonne d’autant plus que le
règlement général sur les traites de mai 1607 prévoyait la
saisie de l’ensemble de la cargaison en cas d’excédent. Il
semble ainsi que le Conseil ne soit pas resté insensible
aux arguments des députés du commerce. L’ordonnance sur les
aides de juin 1680 présente la forme de la
déclaration à l’article premier du titre 7. Dès leur
arrivée, les voituriers doivent se présenter aux bureaux
des barrières, des
portes et des ports pour déclarer la quantité de vin qu’ils transportent, les
noms, surnoms et adresses des propriétaires, le lieu du
cru et celui du chargement. Enfin, l’adresse de l’entrepôt
ou du lieu de vente doit aussi être déclarée. Dans les
pays d’aides, les
déplacements de vin doivent
faire l’objet d’une déclaration préalable dans un bureau
des fermes. Elle doit renseigner sur la quantité des boissons, les lieux de
chargement et de destination, les noms, surnoms et
adresses des propriétaires et de ceux à qui le vin est
adressé, le voiturier reçoit un congé de remuage ou si c’est un
pays où le gros n’a pas cours,
un acquit des droits de courtier-jaugeurs. À défaut, le contrevenant risque
la confiscation des boissons et de l’équipage, et d’une
amende de 100 livres qui peut être modérée jusqu’à 25
livres.
Pour recevoir ces déclarations, les bureaux des
aides doivent être ouverts de 5h du matin jusqu’à midi et
de 14h jusqu’à 20h pour les mois d’avril à septembre. Le
reste de l’année, les horaires d’ouvertures sont de 7h
jusqu’à midi et de 14h jusqu’à 17h. Dans les localités
dépourvues de bureau, la Ferme peut contraindre la
nomination d’une personne pour recevoir les déclarations.
Cette personne doit être solvable et reçoit un salaire de
6 deniers pour livre de recette en guise de dédommagement.
Pour pouvoir vendre du vin au détail, les particuliers
devaient déclarer toutes les boissons en leur possession
en prenant le soin de distinguer celles destinées à leur
propre consommation de celles destinées à la vente. La
déclaration devait préciser si la vente était « à pot »,
c’est-à-dire si le consommateur ne s’attablait pas, ou si
elle était « à assiette ». Les commis devaient remettre « sans frais »
l’acte de la déclaration au vendeur qui, ensuite, était
tenu d’installer une enseigne à la porte du lieu de vente.
En cas de contrôle, l’absence de déclaration est moins
sévèrement réprimandée qu’une déclaration mensongère.
L’amende est de 100 livres dans le premier cas contre 300
livres si la vente est à assiette alors que la déclaration
indique une vente à pot. Débitant et consommateur sont
solidaires de la condamnation dans tous les cas. La même
procédure déclarative est demandée pour les octrois des
villes. Les bouchers et
les marchands forains qui conduisent du bétail vivant ou
de la viande sont tenus de déclarer la quantité, la
qualité ainsi que l’âge des bestiaux avant de payer les
droits, à peine de 300 livres d’amende et de confiscation
de la marchandise et de l’équipage. Outre les droits des
traites et des aides, la déclaration est
également une procédure privilégiée pour l’exercice des
droits domaniaux. Un arrêt du Conseil du 9 janvier 1748 ordonne par exemple aux
communautés religieuses et laïques de remettre aux
intendants des provinces de Flandre et de Hainaut les déclarations de leurs biens à partir
desquelles seront fixés les droits d’amortissement. Si la
déclaration devient la pièce maitresse des réformes
successives de la fiscalité directe tout le long du XVIIIe
siècle, la législation royale avait déjà familiarisé le
contribuable avec cette procédure depuis la seconde moitié
du XVIe siècle. Aussi convient-il de nuancer la qualité de
« révolution fiscale » parfois attribuée à la déclaration
par l’historiographie.
Sources et références bibliographiques:
-
Sources archivistiques:
- AN, G2 173 (14) : Arrêt de la Cour des comptes de Normandie qui condamne les Sieurs Pellerin, bouchers à Pont-l’Évêque, pour fausse déclaration, 1787.
- AN, G2 317 (17) : Arrêt ordonnant aux gens de mainmorte de remettre es mains des intendants et commissaires répartis dans les provinces de Flandre et de Hainaut des déclarations de tous leurs biens et fixant les droits que doivent payer les redevables, 9 janvier 1748.
- AN 129AP/1 : Bail général des cinq grosses fermes de France faict à Me Toussainct de la Ruelle le premier janvier 1643, Paris, Imprimerie d’Antoine Champenois édit du 20 avril 1542, dans Pierre Génois, La grande conférence des ordonnances et édits royaux, Paris, Chez Denys Thierry, 1678, t. 2, p. 965-971.
-
Sources imprimées:
- Règlement du 12 janvier 1585 pour les vendeurs de vin en gros de la ville de paris, dans Jacques Corbin, Nouveau recueil des edicts, ordonnances et arrest de l'auctorité, iuridiction, cognoissance des Cours des Aydes, Eslections, Greniers, Iuges des Traictes, Maistres des Ports autres dependans, Paris, Chez la Vefue Claude de Monstr’œil, 1623, p. 713-714.
- Règlement général du Conseil sur les traites du 30 mai 1607, dans Vivent Magnien, Recueil alphabétique des droits de traites uniformes, de ceux d’entrée et de sortie des Cinq grosses fermes, de Douane de Lyon et de Valence, s. l. s. n., 1786, t. 4, p. 1-13.
- Arrêts du Conseil des 9 juin 1722, 9 août 1723 et lettres patentes du 30 septembre 1723 dans Chambon, Le commerce de l’Amérique par Marseille, Avignon, s.n., 1764, t. 1, p. 115-119.
- Joseph-Nicolas Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale, Paris, Chez Panckoucke, 1788, t. 17, v° « déclaration », p. 198-210.
- Jacques Savary des Bruslons, Dictionnaire universel de commerce, Copenhague, Chez les Frères Philibert, nouvelle édition, 1760, t. 2, v° « déclaration », col. 30-32.
-
Bibliographie scientifique:
- Jean-Claude Boy, L’administration des douanes en France sous l’Ancien Régime, Neuilly-sur-Seine, Association française pour l’Histoire de l’Administration des Douanes, 1976, p. 34-37.
- Mireille Touzery, L’invention de l’impôt sur le revenu. La taille tarifée, 1715-1789, Paris, CHEFF, 1994.
- Jean Clinquart, La douane et les douaniers, de l’Ancien Régime au Marché Commun, Paris, Tallandier, 1990, p. 167-174.
- « Le dédouanement des marchandises sous l’Ancien Régime », dans La circulation des marchandises dans la France de l’Ancien Régime, dir. D. Woronoff, Paris, CHEFF, 1998, p. 103-144.
- Olivier Poncet, « Penser la déclaration de revenus à la fin du règne de Louis XIV. Une maturité théorique et matérielle », dans O. Poncet et K. Weidenfeld (dir.), Déclarez vos revenus ! Histoire et imaginaire d’un instrument fiscal (XVIIIe-XXIe siècle), Paris, École des Chartes, Études et rencontres, 2019, p. 15-60.
- Mathieu de Oliveira, « Les documents déclaratifs en France (fin XVIIe-début XXe siècle) », dans Déclarez vos revenus ! Histoire et imaginaire d’un instrument fiscal (XVIIIe-XXIe siècle), Paris, École des Chartes, Études et rencontres, 2019, p. 109-128.
Déclaration » (2023) in Marie-Laure Legay, Thomas Boullu (dir.), Dictionnaire Numérique de la Ferme générale, https://fermege.meshs.fr.
Date de consultation : 22/12/2024
DOI :